lundi 8 janvier 2024

Une Histoire vraie

 


                                                                  

                                                                                                              

            

                                      


                                                        

                                          

     Ceci pourrait être le début d’une autre histoire ou d’une autre vie. De longues journées dans mon village s’écoulaient, il y avait bien une auberge où deux garçons sympathiques, Roland s’occupaient de la cuisine et Georges l’Anglais du service et du bar. J’allais y passer mes après-midis avec un ami qui lui aussi était en errance, nous jouions aux cartes et refaisions notre petit monde.

    En 1965, de Gaulle était président de la république, J.F. Kennedy venait d’être assassiné en 1963, les Beatles font leur tournée aux Etats-Unis, les Rolling Stones et Keith Richards inventent un riff en pleine nuit pendant une tournée aux Etats-Unis qui s’inscrira dans l’histoire de la pop musique à jamais, le texte de Mick Jagger s’ajoute aux accords de Richards avec une forte contestation de la société de consommation (I Can’t Get No Satisfaction). Au cinéma Docteur Folamour de Stanley Kubrick, Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, la 317éme Section de Pierre Schoenderffer….                                                                                                                                                        

             Un beau jour de septembre 1965, un jeune homme qui devait avoir 30 ans au sourire enjôleur se présenta comme cinéaste et désireux de faire connaissance de la sœur d’Alain Fournier ; à la Bonne Auberge, mon Q G à la Chapelle d’Angillon, dans mon village enfin un événement allait se produire. Le soir rentrant chez moi, j’en parle à ma mère, elle me dit, tout simplement « Que Madame Isabelle Rivière habite au bout de la rue, et qu’elle est la sœur d’Alain Fournier l’auteur du Grand Meaulnes ». C’est ainsi que naquit une grande et belle histoire dont tous les partenaires gardèrent un souvenir ému. Dès le début, Madame Isabelle Rivière était présente quotidiennement, tant pour le recrutement des acteurs, la rédaction du scénario, que sur le plateau de réalisation. Elle devint rapidement pour tout le monde : tante Isabelle, à tel point que lorsqu’Albicocco l’appelait « Madame », tout le monde se taisait, sachant qu’un différend allait les opposer vivement et que Jean-Gabriel allait entrer dans une de ses colères mémorables.  Puis, le soleil commençait à briller à nouveau et tout s'est retourné dans la joie. Sur le tournage, l’exigence de Gabriel, reprenant les scènes un nombre inouï jusqu’à ce que tombe le verdict attendu : « C’est dans la boîte »… Albicocco fit des jaloux dans le milieu du cinéma et rien ne lui fut épargné. On ne lui pardonnait pas d’avoir été choisi, à 29 ans par la vieille dame qui avait refusé Le Grand Meaulnes à beaucoup des plus grands metteurs en scène. La malveillance le força enfin à émigrer au Brésil où il vécut jusqu’à sa mort.            

      Alain-Alban Fournier est né le 3 octobre 1886 à la Chapelle d’Angillon, chef-lieu de canton du Cher .Son père Auguste, jeune instituteur fût nommé à Marcais, près de Saint-Amant-Montrond, où le petit Henri vit ses premières années. L’essentiel de son enfance se passa à Epineuil-le-Fleuriel, tout au sud du département. Il sera sept ans durant, l’élève de son père et aura comme compagne de jeux et de lecture sa sœur Isabelle, de quatre ans sa cadette. Dans une lettre à ses parents du 20 mars 1905, évoquant la classe où entrait tout le soleil doux et tiède de cinq heures, toute la bonne odeur de le terre bêchée, il ajoute : « Tout cela, voyez-vous, pour moi c’est le monde entier ». Les trois-quarts des chapitres de ce futur roman auront pour cadre « Saint-Agathe » et ses environs qui ressemblent à s’y méprendre au petit village de son enfance heureuse... Trois officiers (dont Alain Fournier) et dix-huit de leurs hommes sont tués ou portés « disparus » au combat de Saint-Rémy, du 21 au 30 septembre 1914. Le Grand Meaulnes pour une voix n’a pas eu le prix Goncourt.

       Gabriel Albicocco mettra une année à obtenir les droits d’auteur d’Isabelle Rivière afin de réaliser son rêve, le Grand Meaulnes. Pendant ce temps, j'ai eu la chance de connaître et de lier une certaine confiance avec Gabriel et ses assistants pour être admis en 1966 comme stagiaire dans ce film. J’ai commencé à fabriquer des structures de lanterne en fil de fer et papier de soie seul dans ma chambre, j’étais à la fin de ma convalescence. Après quelques réalisations donnant satisfaction à la décoration, une petite équipe se forme avec quelques amis Berruyers ; je suis maintenant dans un groupe travaillant pour la réalisation d’un film, le Grand Meaulnes. Je ne me rendais pas compte dans quel train j’étais monté et où il allait me conduire. Je ne me suis pas posé la moindre question, j’étais heureux.

      A Bourges, un grand bâtiment en très mauvais état, servait de plateau de tournage. Il y avait des peintres, des menuisiers toute une équipe qui transformait en très peu de temps cette ruine en domaine mystérieux où se déroula une fête étrange et poétique, la centaine de lampes que j’avais fabriquées seront utilisées pour des scènes extérieures accompagnant cette fête. Je vivais à l’hôtel, j’avais une vieille 2CV et un salaire, de nouveaux amis (qui sont toujours là depuis 50 ans.) Cette maladie était un don précieux pour moi. Le tournage dans le nord du Cher a duré environ deux mois et mon « apprentissage », un an et demi et quatre saisons ont été nécessaires pour l’histoire d’Augustin Meaulnes.

    Pour un film d’époque, des attelages, des calèches, des cabriolets des chariots agricoles étaient nécessaires. Un personnage élégant, un homme de fine “race“ se joignit à l’équipe pour organiser les transports des attelages sur les lieux des prises de vues ou du tournage, garantissant ainsi délai et efficacité. La régie m’annonça que je travaillerai maintenant comme chauffeur avec (je ne me rappelle pas son nom), disons Charles-Antoine le Cour. Quand j’ai découvert la voiture que j’allais conduire, j’étais estomaqué, une énorme américaine noire, chromée de toute part, une Lincoln Capri 4 portes, une voiture de président. Durant les années 1952-1955, les automobiles Lincoln se ressemblent fortement elles commencent à accuser leur âge. Ce que Lincoln présente en septembre 1955 est de bien belle facture. Longueur totale de 5.66 m. Les lignes sont élancées, élégantes, aériennes. Côté moteur, c’est un V8, sa cylindrée est de 6 027cm. développant 285cv à 4 600tr/min. L’alimentation est réalisée grâce à un carburateur 4 corps. Il faut bien cela pour propulser les 2 tonnes de l’automobile. La boîte automatique est de 3 rapports. Les vitres et banquettes sont électriques la direction et les freins assistés sont de série. Elle aborde un pare-brise panoramique, le double échappement sortant des bananes de pare-chocs. Les ceintures de sécurité à 2 points ne sont que des options, avant et arrière.                             

        Maintenant, je suis le chauffeur de maître, mais je n’ai pas de casquette. Mes débuts pour cette nouvelle profession sont très simples : il suffit de conduire Charles-Antoine avec prudence là où il désire aller. Souvent je le conduisais à Paris, je passais mon temps à l’attendre dans la voiture, dans le quartier de Saint-Germain ou de Saint-Michel, de drôles d’endroits pour trouver des attelages ou des chevaux, nous revenions souvent le soir même dans le Berry. Il cherchait aussi dans les domaines, et fermes de la région, les carrioles étaient souvent en mauvais état, les chevaux aussi.

      Les premières scènes filmées, des passages de Meaulnes en cabriolet, le cheval était beau la charrette convenait aux assistants. Le caméraman s’était servi de ma 2cv, décapotée, en y mettant sa caméra pour faire un travelling devant l’attelage, je conduisais… Sur les plateaux du tournage, les deux motards de la gendarmerie qui escortaient les convois, étaient avec nous tous les jours, avec les assistants, stagiaires, visiteurs, figurants, tout le monde soutenait l’équipe de machinistes, à caler et assembler les rails du travelling. Souvent Albicocco qui était aussi cadreur filmait sur la grue, la préparation des scènes était très longue. La plupart des scènes sont floues, Gaby mettait de la vaseline sur les objectifs, au grand plaisir de l’assistant caméraman. Daniel Louradour, le décorateur, homme de spectacle, son univers appartenait au merveilleux,  ses rêves et son sens aigu de l’observation nourrissait son imagination. Sa sensibilité et sa sensualité se confondaient harmonieusement dans son lyrisme émouvant (il nous a quitté soudain sur la pointe des pieds en 2007) n’appréciait guère les effets de Gabriel, le décorateur présenté de si beaux décors avec mille détails, d’une très grande beauté que Gaby filmait dans un flou artistique seuls les acteurs n’étaient pas floutés. Le réalisateur disait, qu’un faisan s’était écrasé sur le pare-brise de sa Porsche Carrera, lui avait donné l’idée de flouter le film, et ce fut la raison du succès du Grand Meaulnes aux Etats-Unis en cette période de guerre au Vietnam 1968. Pour le respect et la sympathie que l’équipe avait pour ce grand rêveur tout le monde l’a suivi sur ce grand voyage qui a duré 18 mois. Brigitte Fossey éloignée des plateaux par ses parents depuis « Jeux interdits » de René Clément, est cependant rappelée par la « profession » pour le “Grand Meaulnes“. Avec ses rôles dans les années 1970, elle fut l’une des grandes vedettes de sa génération.

       La conduite de cette Lincoln de 2 tonnes, entre chien et loup, sur une petite route secondaire étroite et humide a lentement glissé dans le fossé. Le lendemain elle fut remplacée par une Bel Air 2 portes de 1957 et j’étais toujours au volant. Ce travail a duré environ deux mois et s’est terminé par une Traction avant Citroën.

      La rupture du contrat entre la production et Charles-Antoine le Cour, me permit de rejoindre la décoration, avec l’ensemblier Quercy et l’équipe de Daniel Louradour. Est-ce que mon rôle de stagiaire me permit pendant un an d’observer et de commencer à apprendre un métier ? Le temps me le dira très vite.

        Mon retour à Paris était toujours par la grande porte “la porte d’Italie“, maintenant il fallait y demeurer. Le village de Saint-Germain avec le drugstore, bien pratique pour faire des courses à une heure du matin, un point chaud pour la prostitution dans les années 70.  La place Saint Germain et son église, fameux Café de Flore, les Deux Magots et la Brasserie Lipp, où Vian, Sartre, de Beauvoir, Camus, Cocteau et Prévert, se sont assis. Bien d’autres, ont fait des cafés et cabarets, le siège de leurs échanges créatifs. À cette époque, je n’osais pas entrer dans ces points de rencontre, cette réserve d’intellectuels. Ce quartier mythique de la rive gauche, me laissera mes premières mémoires d’amour. Ce pâté de maisons entouré par la rue des Cannettes, rue Princesse où était Castel  “nombril“ du showbiz et la rue Dufour, me suffisait pour découvrir de nouveaux amis. Un voisin, singulier chauffeur de taxi, travaillait avec un coupé de GM, une Oldsmobile bleu ciel  avec un V8 comme toutes les Américaines, il n’avait qu’un compteur à l’intérieur. Nous étions des saltimbanques ; l’argent était rapidement dépensé.  Il partait pendant une heure ou plus et revenait avec suffisamment d'argent pour manger à notre faim et agrémenter notre soirée. Un restaurant à deux pas, rue Guisarde, que nous fréquentions souvent, avait comme spécialité, en entrée du hareng pommes à l’huile à volonté, c’était souvent le plat principal ! 

      Le Grand Meaulnes sera présenté au public en 1967.  L'ensemblier Alain Quercy, demanda aux assistantes et stagiaires de Louradour de décorer et d'aménager son appartement dans le style du film que nous venions de terminer. La rue des Canettes se trouve à Saint-Germain-des-Prés.  Notre voisin, une véritable institution, « Chez Georges », le premier Cabaret, Bar, Epicerie, de la rive gauche qui existe encore de nos jours, devint notre cantine. La salle est restée la même depuis qu'elle a été inaugurée il y a un siècle. L’ambiance était bon enfant, on y croisait des bobos de l’époque et des étudiants. Il n'y avait qu'à acheter une boîte de cassoulet, Georges la chauffait dans la cuisine et la soirée était grandiose. Il était un peu dur de s’y frayer un chemin mais une fois en place on y restait avec plaisir. Pendant une courte durée, j'ai vécu sur le chantier.

       A cette époque, il y avait à Paris quelques Berruyers, Aubrun, Joël Leroy de la Chapelle d’Angillon ; je pense que Patou était là aussi avec sa compagne Marie- Chantal qui étudiait les Langues orientales ou le commerce. Le chanteur Pierre Vassiliu était du quartier, il était souvent dans la rue à discuter avec Georges et les autres ; je pense que sa femme ou sa compagne avait le magasin de « fringues ». Dans la vie de tous les jours, ce personnage était très drôle et détendu.  Souvent, j’allais flâner de Saint Michel au Jardin du Luxembourg, ce grand parc est le reste des « prés » du quartier, l’incontournable spectacle de Guignol m’avait fasciné, les voiliers naviguaient sur le bassin central. À cette époque, les promenades à dos de poney étaient populaires et familiales, tandis que la musique des fanfares venait du kiosque. En me dirigeant vers Montparnasse, je passais devant le Dôme et la Coupole, puis je m'installais sur la terrasse du Select qui offrait toujours un ensoleillement agréable. Les terrasses de café ne sont pas des terrasses avec du café, c’est bien autre chose… un éveil des beaux jours, un instant de paresse et de contemplation, refaire le monde et regarder le monde des autres à travers une fenêtre entrouverte. Il n'est pas surprenant que ces cafés aient toujours été un endroit privilégié pour les artistes, les écrivains et les personnes curieuses, qu'ils soient de passage ou des touristes. L’esprit y puise son repos et prépare sa création, pas immédiatement, mais peut-être prochainement.

    Le décor de l'appartement a pris fin, j'avais assez d'argent pour acheter une voiture d'occasion. J'ai découvert une Triumph Tr3 dans un garage à la porte d'Italie, à un prix abordable qui correspond à mes moyens pour la frime, bien sûr. Elle apparaît en 1955 produite par Standard Motor-Company à 13377 exemplaires Classe Voiture de,  sport, moteur 4 cylindres en ligne, 9 chevaux (71kw), 4 vitesses manuel overdrive, poids 904 kg vitesse 169,5 km /h, 0 à 100km/h en 10,8 s consommation 10.4L/100 km. Elle arborait une teinte bleu ciel, le bas de caisse était en mauvais état mais elle parvenait à rouler. Ce soir-là, je conduisais un ami sur l'autoroute du Sud. Le moteur nous propulsa à grande vitesse jusqu'à Fontainebleau, sur le chemin du retour vers Paris, mais le moteur "explosa", c'était juste au début d'une nouvelle législation sur les voitures d'occasion. Les garagistes étaient tenus de fournir une garantie lors de la vente de leur véhicule. Après une brève négociation avec un avocat, le vendeur a été contraint de procéder à un échange standard du moteur. Après quelques semaines, je revins par la porte d'Italie, fier comme Artaban dans ma province, pour raconter à mes parents mes aventures à Paris, mais pas toutes.

     J'ai séjourné quelques mois dans le Berry avec mes copains berruyers, en espérant trouver une nouvelle expérience cinématographique. Mon expérience à Bourges avec cette équipe de cinéastes m'a permis d'acquérir une bonne réputation. J'avais mis à contribution quelques-uns d'entre eux pour la réalisation des lanternes. Ils avaient participé en tant que figurants et nous avions passé de bons moments ensemble, des amitiés commençaient à se développer. Un grand nombre d'étudiants étaient encore présents, tandis que très peu avaient trouvé un emploi.  Ces rejetons étaient issus de bonnes familles bourgeoises et s’en fichaient éperdument…

      Gaston, le bar Cujas, était le lieu de rassemblement pour toutes les idées farfelues en préparation. Tout était drôle, une fois sur deux, et bon enfant. Les filles étaient souvent présentes lors des soirées de fête, les absurdités se déroulent entre les folies des garçons. Jean-Pierre faisait également partie de ce groupe ; il avait loué une petite maison dans les environs de Bourges qui manquait de meubles. Nous avons, un soir de folie, décidé de l’aider pour améliorer sa demeure où, souvent nous passions des soirées dans cette campagne sans voisinage, après un repas bien arrosé, le jeu de se jeter des yaourts à la figure, était souvent engagé par le Dédé régional, et d’autres, du même acabit.

        La première idée a été d’aller dans l’ancien lycée de cette bande qui était dans le centre-ville, fermé depuis quelques  années à 150 mètres du Bar Cu et des beaux-arts; il suffisait de traverser un parking vide la nuit. Un soir vers minuit, nous y stationnons  deux véhicules, les compères s’infiltrent dans le lycée et en ressortent peu de temps après portant un grand fauteuil en piteux état, traversant le parking et déposant dans le cabriolet de Benoit, une très discrète et pratique voiture pour ce genre d’événement. La semaine suivante Jean-Pierre avait un objectif, une gargouille ; il pensait bien-sûr à notre belle cathédrale, dans l’atelier de tailleur de pierre et non sur le toit de ce monument. À cette époque, nous lui chantions « étonne-nous Benoit », une chanson interprétée par Françoise Hardy. Cette expédition ne sera pas couronnée de succès. Ensuite, nous avons entrepris une nouvelle expédition pour récupérer un dessus de cheminée avec le même type de véhicule, mais sans succès...maintenant encore je lui rappelle de me surprendre.

       En 1968, il n'y avait aucune réglementation policière dans les provinces. En mai, j'ai reçu la confiance d'une amie étudiante, en arts plastiques à Bourges pour occuper son studio. L'objectif était de représenter un cheval de Géricault en utilisant une grande toile tendue sur un mur libre. Mes amis ont été impressionnés par ma création et j'ai décidé de l'exposer au château d'Argent sur Sauldre. Je l’avais tendu sur un cadre de 3m x 2m, grâce à mon père, le tableau, qui pesait seulement quinze kilos, au plus,  fut transporté sur le plateau d’un camion de dix tonnes. En raison de sa taille, je choisis de ne garder que la tête du cheval et de le remettre à une amie de Geneviève, qui appréciait mon travail.

  

   La fille de notaire m'a demandé si je pouvais lui concevoir un lit à baldaquin. Avec une bonne préparation un peu d’imagination, il me suffit de trouver un menuisier, tourneur sur bois, feuilleter quelques bouquins et son lit pourra se réaliser facilement, avec mon “expérience pourquoi pas’’.

               Me voici dans un village, près de Tours de nouveau à l’hôtel, avec comme client, le notaire local, ma TR3, représentant le sérieux de mon entreprise  “anonyme“ faisait bon effet, la capote était souvent repliée, vue son état pitoyable.

    Nous étions en mai 1968. Contestation étudiante et sociale de la période de mai 68. Dans la chambre de leur fille, les travaux étaient en cours, j'avais habillé les murs de moulures et j'étais en train de peindre, le lit était en train d'être fabriqué dans la région. Le soir, mes hôtes m'offraient la possibilité de partager leur repas. La radio était constamment allumée, les nouvelles devenaient de plus en plus alarmantes pour mes clients nobles.         

    

       En France, ces événements acquièrent une tonalité particulière. Les manifestations d’étudiants sont rejointes, à partir du 13 mai par la plus importante grève générale de la V République, dépassant celle survenue en 1936 lors du Front populaire. Pendant une durée de deux semaines, le pays est resté paralysé. Le notaire et son épouse discutaient de la révolution. La jeune fille affichait un sourire, je ne parvenais pas à saisir complètement la situation. J'étais presque arrivé à la fin de mon travail.

      Le lendemain, la panique commençait à envahir le notable. Il évoquait des armes de chasse, il était nécessaire d'acheter des munitions, car bientôt la ville de Tours serait assiégée par les méchants révolutionnaires. En compagnie de sa femme, ils abordaient le sujet de l'argent et des valises pour se rendre en Suisse. Mon désir de comprendre m'a poussé à me rendre à Bourges pour observer et comprendre la raison de la grève générale. Les notables ne s'y opposèrent pas. Maintenant, ils avaient la possibilité de compter ou de dissimuler leur argent en toute sécurité.

       La ville de Bourges était calme, il n'y avait ni manifestants ni forces de l'ordre, les pavés ne volaient pas et il n'y avait aucune barricade face au Bar Cu. À l'École des Beaux-Arts, à 20 mètres de la brasserie, on peut voir une bannière qui proclame : 'La poésie est dans la rue'. Au bar, Gaston ne pouvait pas être d'accord avec ses voisins révolutionnaires ! J'ai retrouvé mes amis, dont un joyeux compagnon, d'un poids conséquent, fils d'un restaurateur, enchanté par ces événements festifs. Il allait tous les ans à Nîmes pour les fêtes votives et les corridas, était-il fêtard pour certains, révolutionnaires pour d’autres ; il eut la brillante idée d’aller aux beaux-arts de Paris,  demander des tracs aux étudiants, leur donner de l’alcool en contrepartie, fourni par la réserve de son père et de revenir avec la bonne nouvelle pour notre province lointaine de ces bouleversements. J’étais disponible pour ce genre de services, malgré les difficultés de ravitaillement d’essence, je me suis transformé en messager, estafette ou coursier à votre choix, tout le monde doit rendre service à la révolution, camarade !

     Une fois qu'il a rempli sa voiture de boissons alcoolisées et fait le transfert dans le TR3, un véhicule plus discret pour effectuer ce type de transport. Patrick, son nom me vient à l'esprit, était bien installé dans le siège, le nez au vent, nous avancions vers Paris. Malgré son confort sommaire, la « TR3 attitude » nous permettra de voyager jusqu'au bout du monde. L'entrée de Paris, ce sera toujours pour moi, la Porte d'Italie, départ de la Nationale 7 qui connecte Paris à l'Italie, d'où son nom.

       La circulation dans le quartier latin devenait compliquée. Un drapeau rouge nous a été remis. Je n'ai jamais compris comment nous avons pu pénétrer dans la cour de l'école des Beaux-arts ; les bouteilles d'alcool nous ont rendu la tâche plus facile. En un rien de temps, le coffre fut comblé de tracts et d'affiches. Depuis toujours, j'ai eu l'impression que ce quartier était en fête, tout le monde était heureux, ils se sentaient libérés, de quoi? Il m’était difficile d’assimiler la cause de cette “ Révolution’’. J'ai effectué le transfert de nombreux tracts et notamment de boîtes de films à Paris. Dans différents lieux, sans me rendre compte que ces documents ont pu avoir un grand intérêt ; ma curiosité cette fois-ci ne m'a pas dérangé. Je déambulais dans le quartier de l’Odéon. La place était très vivante. À l’entrée du théâtre, il y avait un groupe de types patibulaires, les « katangais » des loubars, dans la tradition des blousons noirs, qui entretenaient des discussions très animées, lesquels s’étaient approprié une partie de la Sorbonne et de l’Odéon. Plutôt mythomanes, car certains d'entre eux se décrivaient comme des ex-parachutistes ou des mercenaires pendant la guerre civile du Congo-Kinshasa, ce qui explique leur surnom. Les badauds étaient très nombreux à admirer ces ‘mercenaires' qui avaient énormément de succès auprès de la gent féminine.

      Pendant un mois, l'Odéon, sous la direction de Jean-Louis Barrault, devient l'un des bastions du mouvement révolutionnaire, où se réunissent en permanence des militants révolutionnaires, tant dans leurs activités nocturnes que dans leurs activités diurnes. L’effervescence intellectuelle est vive, par une recherche pour trouver un langage commun, inventer des structures et imaginer des bouleversements sociaux. Etudiants et artistes souhaitent rencontrer les ouvriers pour établir un véritable dialogue avec eux à l’Odéon. L'agitation coûte la place à Jean-Louis Barrault, qui est abandonné par Malraux. Plusieurs mois se sont écoulés avant que le théâtre ne rouvre ses portes.

     Lors des débats au théâtre de l'Odéon, il y avait des collectes de fonds pour apporter un soutien au Comité d'Action révolutionnaire. Pendant la durée de quatre semaines d'occupation, il semble que les trésoriers se succédaient fréquemment. Ils partaient, paraît-il, se reposer en Amérique du Sud, cela devait être une rumeur ? Pour soutenir la révolution, nous avons effectué trois allers-retours. Nous avons rencontré quelques difficultés avec l'essence, il nous a souvent été nécessaire de siphonner ; ce cabriolet révolutionnaire était très exigeant. Ces mouvements, auxquels, j’avais « participé », pendant ces 15 jours sans comprendre le fond, je m’en suis réjoui, c’était très festif, les CRS m’ont couru après, une seule fois, ils étaient assez loin. Paris avait 10 jours d’avance. Dans la nuit du 10 au 11 mai, la révolte des étudiants atteint son sommet. Durant cette période, les étudiants et les CRS s'affrontent dans de véritables combats de rues, avec des voitures incendiées, des rues dépavées et des vitrines brisées. On aurait pu assister à la nuit de la Saint-Jean, sans aucun doute l'une des nuits les plus marquantes de l'histoire du quartier Saint-Germain.

                                                                                                                                        

                             

                   

                                    

                    

                                 

                        

                                   

 

 

                                      

 

 

 

 

                                           Bourges-Istanbul 1968-1989

 

                      


 

 

    Après ce mois  de fête j’ai regagné mon chantier et achevé mon travail, que j’avais abondance à cause de cette révolution, le notaire m’a reçu comme si rien  ne s’était passé. À la livraison de cette chambre et de son lit à baldaquin, j’eus le solde de tout compte et repartis à la recherche d’autres aventures. Je suis allé à Paris, rejoindre des amis. Ils m’hébergeaient dans leur chambre de bonne souvent au sixième étage sans ascenseur. J’étais à la recherche des adresses de décorateur et designers d’intérieur dans l’état de New York tout simplement ! Je les ai découverts dans un bureau de relations franco- américaines place de l’Odéon, dans une liste d’entreprises. Je pensais qu’avec mon expérience de la cinématographique et du design d’intérieur, sans savoir un mot d’anglais je pourrais réaliser un rêve américain, certainement de l’ambition. J’écrivais une quinzaine de lettres de motivation, en français, accompagnées de mes lettres de recommandation. Je reçus dans le courant de deux semaines, six belles enveloppes entourées d’une bordure bleu blanc rouge, par avion S.V.P, les réponses, d’une grande politesse, regrettant de ne pouvoir satisfaire ma demande. J’en ai déduit que de Gaulle était largement responsable de l’échec de mon rêve américain ! Rappelez-vous : “Le général de Gaulle ayant demandé, en mars 1966 aux Américains, de plier et descendre soigneusement leur bannière étoilée, d’évacuer vingt-sept mille soldats et trente-sept mille employés de trente bases aériennes, terrestres et navales’’. Les termes étaient clairs…La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel….et de plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN.

      Mon autre idée était de partir en Australie pour créer un élevage de moutons. Je ne croyais pas que l’aventure vécue pendant une année dans cette équipe de cinéastes, allait un jour se reproduire. Cette période était très floue, j’étais en pleine transition, à la suite de mon séjour à l’hôpital, le traitement qu’ils m’avaient imposé ne correspondait pas à la vraie vie que je voulais connaître ; donc le cocktail que je consommais était quelques fois explosif.

         Paris, en cette période postrévolutionnaire les forces de l’ordre étaient pratiquement absentes. Une certaine liberté se présentait, des clans se formaient j’ai rencontré des caractères singuliers. Quelques joueurs de poker semi- professionnels qui étaient toujours à la recherche de partenaires bons à plumer de façon spectaculaire, des parties de poker dans les arrières salles de cafés, des parties de passes anglaises sur des billards entourés d’une vingtaine de joueurs et des milliers de francs qui passaient rapidement de mains en mains, des tuyaux, qui étaient toujours des bons à tous les coups sur le champ de course de Saint-Cloud en particulier. Je revenais de temps en temps dans mon Berry natal ; un soir, chez Gaston, où les grandes idées naissaient, (un vrai laboratoire de recherches), ayant quelques sous, je propose à qui voulait bien m’entendre de partir sur la route de Katmandou ! C’était dans la mouvance en 69, deux volontaires répondront à ma proposition, un vicomte napoléonien, Patou, et sa compagne, fille de roturièr, qui devint ma femme quelques années plus tard, ceci fut ma première erreur, la deuxième fut de divorcer !

      Mon père m’a prêté sa 2cv, la roue de secours fixée sur le capot, Paris-Dakar  n’existait pas. A l’aube d’un matin de printemps, nous partîmes vers l’inconnu. À quelques kilomètres de Nevers, la 2cv a eu beaucoup de peine à franchir la première côte, une fois l’obstacle vaincu, elle a pris son élan pour traverser la Suisse jusqu’à Vienne. En se relayant pendant 24 heures, nous avions fait 1400 kilomètres ; nous étions le lendemain matin sur les rives du Danube dans un cadre romantique. Le temps de contempler le palais impérial le Hofburg, sans visiter le musée de Sissi, ni apprécier les mélodies de la musique des valses de Johan Strauss et les appartements impériaux. Nous étions pressés d’aller dans un café viennois, boire un bon chocolat et manger un Sachertorte. Nous avions besoin de calories pour tailler la route vers Budapest. En 1683, lorsque les Turcs battirent en retraite après avoir occupé Vienne, ils laissèrent quelques poignées de grains marron foncé dont ils tiraient un breuvage délicieusement amer. Ainsi naquirent les cafés viennois et une tradition unique à ce jour. Si Vienne ne fut pas la première capitale européenne à se doter d’une maison de café, ou Kaffeehaus, elle sut mieux que toute autre développer une culture raffinée autour de cette boisson. C’est un Arménien du nom de Diodado qui ouvrit vers 1700 un café présentant déjà un grand nombre des caractéristiques transmises jusqu’à nos jours : verre d’eau de rigueur avec sa tasse, la table de billard, la possibilité de jouer aux cartes et la presse nationale et étrangère, mise gracieusement à la disposition des consommateurs.

      En début d’après-midi, nous reprenons la route, en une heure nous étions sur le point de franchir le rideau de fer. Nous présentons nos passeports, le vicomte présente le sien, le douanier lui fait remarquer que la photo du passeport ne correspondait pas à sa physionomie, il n’avait pas de barbe avant la « révolution » et ne portait pas de lunettes, le passage de la frontière nous fut refusé. N’ayant pas le temps de contourner la Hongrie, nous retournons à Vienne pour trouver un barbier et acheter une paire de lunettes ressemblant à celle de la photo, le vicomte était méconnaissable. En fin de l’après-midi, nous passons la douane, ils nous donnent un visa à chacun, nous faisant comprendre que nous n’aurions que 24 heures pour quitter la Hongrie. Ne sachant pas le temps qu’il nous fallait pour traverser ce pays, nous sommes maintenant envahis d’une « grande » panique.                         Dans la nuit vers 10 heures nous arrivons à Budapest, les reflets des lumières de la ville considérée comme une des plus belles villes d’Europe et la « perle » du Danube. Nous repartons assez vite pour rejoindre la Yougoslavie le plus tôt possible. Il nous restait 300 kilomètres à parcourir. A plusieurs reprises nous avons évité de percuter des tombereaux, des charrettes tractés par des chevaux, sans lanterne ni signalisation, nous ne voulions pas nous attarder ou être en panne dans ce pays, qui était en 1969 sous le joug de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et au-delà du rideau de fer ! Nous étions courageux mais pas de grands téméraires. « A bride abattue » nous passons la frontière de la Grande Yougoslavie Unie de Tito, qui était le seul à croire à l’unité de son pays jusqu’en 1980. A sa mort, la Yougoslavie verra aussitôt renaître les tensions interethniques…

      Pour la petite histoire : «Il était membre du parti communiste soviétique et de la police sécrète soviétique, ancêtre du KGB, le NKVD. En 1936, le Kominterb envoie le camarade Walter (Tito) en Yougoslavie pour purger le parti. En 1937, Staline fait exécuter le secrétaire général du parti communiste de Yougoslavie Milan Gorkic à Moscou. Tito est nommé par Staline général du parti communiste de Yougoslavie toujours hors-la-loi, il fut question de liquider également Tito. Mais Staline s’y opposa et le laissa repartir d’URSS, non sans avoir fait fusiller son épouse ».Dans cette République fédérale socialiste, nous nous sentions « plus libre » que la veille, en Hongrie. Nous traversons par la route principale d’Ouest en Est la Croatie en passant par Zagreb, la Bosnie-Herzégovine nous avons probablement rejoint Sarajevo et le Monténégro, le Kosovo et la Macédoine. Je me souviens de Sofia, les pavés des rues étaient peints en jaunes. Nous avons vu de notre 2 CV beaucoup de populations dans chacune de ces républiques très diversifiées, des Turcs, des Ukrainiens, les Tsiganes, etc. Ils étaient tous des peuples slaves ! Vers le sud, il y avait beaucoup de pauvreté, des campements au milieu de nulle part autour d’une mare d’eau, où les enfants pataugeaient, des roulottes, des chevaux, souvent nous avons rencontré cette pauvreté. Il y avait  beaucoup de circulation sur cette route “ Nationale’’  un mélange de camions  de cars, des hippomobiles, des motos, des tracteurs, un capharnaüm ! La conduite et la sécurité n’étaient pas de mise, sur le bord de la route les camions « accrochaient aux arbres », les carcasses de voitures, étaient désossées, le danger était partout pendant ces 800 kms. Exténués, éreintés, par ces 60 heures de conduite non-stop, malgré nos relais, en pleine nuit nous arrêtons la deudeuche, elle aussi était épuisée, au milieu d’un champ, et plongeons dans un profond sommeil. Le lendemain matin, au chant du coq qui n’existait pas, nous nous réveillons sous un soleil radieux, encerclés par un convoi militaire qui avait dû s’immobiliser dans la nuit. La surprise était grande. Imaginez une 2CV entourée de véhicules militaires, John Ford en aurait été jaloux ! Avec précaution, nous nous avançons vers les soldats, qui croquaient des pommes acides, et leur  proposons du café chaud, grâce à notre camping gaz. Ils eurent le plaisir de le boire. Le convoi nous créa une ouverture qui nous permis de quitter le camp. Quelques kilomètres plus loin, nous rentrons sur le territoire Grec. Le douanier surpris par notre véhicule et sa suspension originale, nous secouant comme un grelot, nous mis de mauvaise humeur, sans insister nous démarrons rapidement vers un autre destin, Istanbul, il y aura encore 600 Kms, la voiture avait beaucoup de difficultés à atteindre le sommet des côtes, l’équipage croisait les doigts, en souhaitant aboutir, si près du but ! 

           En 1935, Edouard Michelin, fabricant de pneumatiques, principal créancier, rachète Citroën pour lui éviter la faillite. En 1942, des prototypes et 250 exemplaires de présérie en aluminium d’une petite voiture révolutionnaire furent détruits ou cachés en Auvergne par une équipe d’ingénieurs. On ne sait pas s’il s’agissait de les cacher aux Allemands, ou de les protéger des futurs bombardements. Cette voiture deviendra, en 1948, après une complète remise à plat, la CV Type A.

         Dès la frontière franchie, le paysage était verdoyant, le contraste était édifiant, nous longeons le Nord de la Grèce, sans pouvoir apprécier, la musique, la cuisine, ce peuple d’accueil qui inventa la démocratie, la politique, le théâtre dramatique. Hippocrate a été considéré comme le plus grand médecin de l'Antiquité, en partenariat avec Platon, Aristote et son Roi Alexandre le Grand, qui a réussi à conquérir un immense empire. La Grèce a été reléguée au second plan, le but étant de rejoindre Istanbul. Après le franchissement de la frontière turque, le parcours devient plus chaotique, les routes étaient en mauvais état, les villages pas très accueillants, nous étions tous épuisés. Les 300 derniers kilomètres ont été particulièrement longs ; la voiture avait un souci avec ses soupapes, nous roulions à une vitesse maximale de 60 km/h. A notre arrivée aux portes d’Istanbul, la priorité était de trouver un garage Citroën, avec surprise nous le trouvons, il y avait de vieilles tractions avant des années 50 en réparation, la panne n’était pas incluse dans mon budget, le mécanicien a simplement rodé la soupape endommagée, et acceptât en échange et sans hésiter, mon Kodak Instamatic créée en 1963. À 2800 km de chez elle, la Deudeuche était ravie de retrouver sa nouvelle jeunesse! Très fière de notre exploit, nous découvrons. Le Grand Bazar d’Istanbul, la zone centrale, les boutiques des bijoutiers et les marchands de petites pièces antiques, à l’exception des lampes à gaz, l’or et l’argent brillaient dans le plus Grand comptoir du monde. Répartie sur 200 000m², possédant 4000 boutiques, situées le long de 52 rues intérieures. Cette ville est un plaisir visuel, la mer Marmara, le Bosphore et la Corne d’Or, des bâtiments fascinants apparaissaient à chaque coin de rue.

         En 1969, la ville était obscure, les superbes façades étaient de couleur noire, les Turcs avaient tous de larges moustaches.  Dans cette ville hallucinante, les mules, les voitures américaines et les charrettes à bras se partageaient les grands axes. Ces jeunes aventuriers étaient fascinés. Les aliments frais, fruits, légumes, yaourt et le lait étaient vendus dans les rues sur des charrettes à bras et dans le cas des produits laitiers, par un homme portant des bidons avec un joug sur le dos. De nombreux vendeurs ambulants étaient présents. Les salles de cinéma étaient très nombreuses à Istanbul, proposant principalement des films américains. À cette époque, il n'y avait pas de télévision.

     En nous rapprochant du port, nous croisons des jeunes Turcs qui, sans scrupule, mettent leurs mains sur le bas-ventre de notre amie. Nous les repoussons et les pourchassons jusqu'au port, ayant peur qu'ils ne nous attirent dans un piège, nous interrompons notre progression. Essoufflés nous découvrons le Bosphore, nous étions fascinés par l’intensité du trafic des bateaux navettes (de transbordeurs, vedettes rapides) à notre droite nous découvrons sur une colline surplombant la Corne d’Or, la mer de Marmara et le détroit séparant l’Europe et l’Asie, la Mosquée Bleue, la basilique Sainte-Sophie, le palais de Topkapi, qui s’étend sur 700 000m²(70 ha), et entouré de cinq kilomètres de remparts. La gare ferroviaire, Sirkeci qui date de 1889, c’est (du quai 1) que part vers l’Europe le prestigieux Venise-Simplon-Orient-Express, et d’Haydarpasa, (sur la rive Asiatique) le Trans-Asia-Express s’élance vers Téhéran.  Nous allons visiter le palais Topkapi, les collections de porcelaine, des vêtements, des armes, des boucliers, d’armures, des miniatures ottomanes, ainsi qu’une exposition permanente du trésor et de la joaillerie de l’époque ottomane. Des émeraudes en vrac, comme un gros tas de cailloux, sur lesquelles était posée la dague du sultan incrustée de diamants et d’émeraudes, sous un cube de verre sans grande sécurité, d’après nous ? Nous ne voyons pas l'intérêt de remettre au goût du jour cet exploit, car le film de Jules Dassin, Topkapi, a été sorti en 1964. Nous n'avions pas envisagé de faire mieux.

 Nous avons repéré un hôtel dans une petite rue à 300 mètres de Sainte-Sophie, ce qui nous a permis de découvrir et arpenter les rues d'Istanbul.

          La basilique Sainte-Sophie, considérée comme la huitième merveille du monde servi de basilique pendant 916 ans et de mosquée pendant 482 ans. Finalement, par ordre d'Atatürk, ce lieu est devenu un musée. L’édifice mène sa fonction historique en tant que musée.

 En 532, à peine quelques jours après la destruction de la seconde basilique, l’empereur Justinien prit la décision de la reconstruire, cette fois beaucoup plus grande et majestueuse que les deux précédentes, dédiée à la Sagesse Divine. Les architectes dessinèrent un bâtiment inspiré, du panthéon de Rome et de l’église chrétienne primitif d’occident, des influences iraniennes, est aujourd’hui qualifié de « byzantin » Ce style byzantin a inspiré, à son tour, des architectes arabes, vénitiens et ottomans. En 1453, immédiatement après la prise de Constantinople, la basilique fut convertie en mosquée, conservant le même nom. En 1934, Mustafa Kemal Atatürk désaffecte le lieu du culte pour « l’offrir à l’humanité ». Il fait décrocher les grands panneaux circulaires portant le nom d’Allah, de Mahomet et des califes : Sainte-Sophie devient Musée.

   Le lendemain, nous nous rendons à la Mosquée bleue, l'un des plus célèbres pour ses magnifiques mosaïques qui ornent les murs de son intérieur. Elle est le point de départ des pèlerins musulmans vers la Mecque et jouit du privilège islamique de présenter six minarets, ce qui est exceptionnel au niveau mondial. Le pape Benoît XVI a visité la Mosquée Bleue lors de sa visite en Turquie en 2006. C’était la deuxième visite papale de l’histoire, dans un lieu de culte musulman, après avoir enlevé ses chaussures le Pape fit une pause, les yeux fermés dans la prière, debout côte à côte avec le mufti d’Istanbul et l’imam de la Mosquée Bleue, et dit : « Que tous les croyants s’identifient avec un Dieu unique et témoignent d’une vraie fraternité ».

    Après avoir quitté la mosquée, j'avais l'intention de changer quinze dollars contre quelques livres turques. Je m'adresse au premier individu qui se présente, il les compte, me les rend, en me demandant d'attendre son retour, je recompter mes billets il en restait sept. C'était mon premier séjour à l'étranger, je n'étais qu'un novice ignorant. Furieux, j'ai décidé de retourner au grand bazar pour récupérer ma perte sans me rendre compte du risque que j'encourais, et j'en suis sorti effrayé après avoir trouvé l'équivalent de mes huit dollars. Le Musée archéologique d’Istanbul était fermé depuis 1963, à notre grande déception, nous aurions voulu voir le sarcophage d’Alexandre le Grand et les Œuvres de l’Orient Ancien, déçus mais heureux d’avoir eu la chance de découvrir cette ville merveilleuse qui représente près de 3000 ans d’histoire, de Byzance, Constantinople et Istanbul. Après quarante-cinq ans, j'ai eu le bonheur de retourner à Istanbul, une ville brillante et moderne, et de visiter le magnifique musée archéologique. On peut trouver plus d'un million d'objets, couvrant pratiquement toutes les époques et les civilisations de l'histoire mondiale.  Le sarcophage d'Alexandre le Grand, de la fin du IVe siècle avant J-C. On peut admirer des bas-reliefs représentant Alexandre et ses récits historiques et mythologiques, l'œuvre est admirablement préservée. Cela m’a fasciné.

      Explorer le Grand Bazar, visiter les magnifiques colonnades de la citerne Basilique, le somptueux palais de Dolmabahçe, situé sur le Bosphore. Depuis 1930 et 1934, 10 ans avant la France, les femmes turques ont le droit de vote et d'éligibilité, tout comme les hommes.

     La route de Katmandou s’arrêta à Istanbul, nous connaissions nos limites, nous étions raisonnables, la drogue n’était pas notre tasse de thé, il était facile d’acheter de “l’herbe’’ dans notre douce France. Après une dernière visite au Grand Bazar, acheter quelques souvenirs, narguilé, pierres demi- précieuses pour ma mère et gilet en peaux de mouton doux et épais, nous donnant l’apparence de hippies revenant de loin !

                                                                           

                                                                      


 

        Nous partons d'Istanbul, heureux de rentrer chez nous, à 3000 Kms, la route sera longue et périlleuse! Nous nous dirigeons vers Sofia en traversant une partie de la Bulgarie et en passant la frontière de la Roumanie à Bucarest. Nous avons toujours circulé sur les grands axes, vers les capitales sans chercher les raccourcis, nous n’avions aucune chance de nous égarer, il fallait tout simplement, avaler des kilomètres, s’était aussi le but du voyage. Au bord du Rhin, nous avions l'intention de nous rendre à Baden-Baden pour rendre visite au père du vicomte. Colonel dans une caserne à quelques kilomètres de Strasbourg, car nous commencions à avoir un manque de monnaie. Étant donné que nous ne voulions pas repasser par la Hongrie, nous avons dû faire un détour par Belgrade en Yougoslavie, traverser l'Autriche, la Suisse et rejoindre Strasbourg.  Nous croisons le deuxième jour un aventurier qui faisait des allers-retours en 403 Peugeot, entre la Suisse et Katmandou, il ne rentrait pas en France par  “sécurité“, à cette époque il était très facile de passer les frontières, il n’y avait pas de contrôle car nous étions en transit. Le seul problème qu’avait ce garçon, était le manque de pages vierges sur son passeport, nous lui donnons quelques pages en échange d’un peu d’herbe venant directement du Népal, que nous fumions avant de passer la douane Française, là était le problème à éviter dans ce trafic.

     La deuxième nuit, après notre départ d’Istanbul, nous roulions tranquillement sur une route de Serbie, les amis somnolaient, quand, à notre grande surprise, au milieu de la route, des policiers nous obligent à stopper la 2CV pour simplement nous signaler qu’un phare de notre voiture ne fonctionnait pas. A leur demande, nous leur présentons nos passeports, ils les examinent et nous font comprendre, avec beaucoup de difficultés qu’il y a un garage à une centaine de kilomètres, pour changer l’ampoule défectueuse, et revenir récupérer nos passeports. Nous étions sur le bas-côté de la route, la discussion était vive, nous essayions de leurs faire comprendre qu’ils pouvaient nous faire confiance, que nous ferions le nécessaire, nous voulions nos passeports ! Un mot fusa: « fascistes ». Mot international que les Serbes connaissent bien, notre compagne de voyage, avec son mètre 65 saute sur le “fasciste’’ et se retrouve avec les épaulettes du gradé dans les mains, nous allions comprendre notre impertinence.

     Nous nous retrouvons dans un commissariat serbe, à une centaine de kilomètres de Belgrade, ils nous confisquent la 2cv, nos passeports et nous donnent une convocation pour revenir dans leur cité, au tribunal dans une quinzaine de jours, et nous fiche à la porte de leur bureau avec violence.

    Nous sommes en pleine campagne des Carpates, il est 22 heures, et nous sommes seuls. En quête d'un moyen de transport pour se rendre à Belgrade et obtenir de l'aide auprès d'une ambassade ou d'un consulat français. Avions-nous pris la bonne décision en évitant la Hongrie? Le lendemain, dès l'aube, nous nous sommes rendus à Belgrade, devant la porte de l'ambassade française fermée, en attendant l'ouverture de l'administration. Après avoir expliqué notre incident, un sous-assistant, d’un sous-secrétaire d’un représentant officiel de l’Etat Français nous annonçât que cette Chancellerie, ne pouvait rien faire pour notre cas, il fallait s’adresser au Consulat qui est, chargé de protéger les ressortissants de notre pays. Nous commençons à découvrir Belgrade et ses règles, au première feu rouge un policier me fit remarquer qu’il fallait marcher dans les clous, mes amis me regardaient d’un drôle d’œil ! Nous étions chez Tito, un camarade de l’union soviétique, il fallait respecter leurs lois fondamentales.

    Nous avons été chaleureusement accueillis par le Consul, un homme charmant et très sympathique. Il n’était pas surpris de notre aventure, cela était courant, les Yougoslaves s’intéressaient beaucoup aux passeports étrangers, ils pouvaient confisquer tous les passeports d’un car de touristes. Pendant deux semaines, il nous a accueillis chez lui jusqu'à notre convocation au tribunal.  Le vicomte passait ses journées de bureau en bureau dans l'administration locale, pour soi-disant nous aider à résoudre cette affaire et ne nous donnait aucune information sur son emploi du temps. À cette période de l'enquête Markovic, greffée sur un fait divers, il y avait un membre de sa famille qui travaillait dans la police et était un super flic. En ce jour du 1er octobre 1968, dans une localité d'Elancourt. Dans une décharge publique, on découvre le corps décomposé de Stevan Markovic, qui était autrefois le garde du corps d'Alain Delon. Les célébrités et les rumeurs prennent de l'ampleur. Il y avait des photos d'un genre particulier qui circulaient sous le manteau et qui révélaient des personnalités politiques, des médias, du spectacle et bien d'autres en train de s'adonner à des partouzes. Selon les rumeurs, il est possible de reconnaître Claude Pompidou, Georges Pompidou, alors premier ministre, qui a été récemment remercié par le Général de Gaulle...

   Pendant ce temps, avec sa compagne nous visitions Belgrade, le soir l’ambassadeur nous emmenait dans d’autres Consulats, où il parlait des problèmes de Consuls, les buffets étaient bien appréciés par les touristes fauchés, que nous étions. Nous avons eu la chance de visiter de nombreuses résidences, les soirées étaient toujours très agréables, notre hôte nous avait vraiment mis à l'aise, il n'y avait pas d'autres étrangers présents lors de ces réceptions. Pendant ce séjour, j’eus plaisir d’avoir un béguin d’une charmante Yougoslave, je l’ai invitée une nuit au consulat, mes amis m’ont fait remarquer que cela n’était pas très diplomatique, la “ faute était faite’’  il ne fallait rien regretter, et même recommencer, nos vacances à Belgrade n’étaient pas programmées, ce voyage en  solitaire  durait depuis bientôt trois semaines.

    Le jour du jugement sonnât, la convocation du tribunal fut confirmée, nous allons à la gare routière et retournons au village où nous attendait notre deudeuche, arrivés à l’adresse indiquée, rien ne ressemblait à un tribunal, nous étions devant une épicerie, en avance, trois jeunes touristes tourmentés, faisaient les cent pas. Un homme de petite taille, vêtu d'un costume et d'une cravate, qui passe devant nous, nous adresse la parole dans un français impeccable sans aucun accent.

Bonjour, est-ce que vous êtes de nationalité française?

-  oui

- Est-ce que vous attendez quelqu'un?

- Non, nous sommes convoqués devant le tribunal, est-ce ici?

- ah bon !

- Pouvez-vous nous apporter votre aide?

- Bien entendu, j'ai le temps, vous savez!

- à merci ! »

             Nous sommes surpris, mais nous acceptons volontiers cet interprète qui vient de nulle part, devant un 'tribunal' au fin fond des Carpates. Le  hasard  fait bien les choses, nous sommes qu’à moitié surpris,  un homme sort de “l’épicerie’’ et nous invite à le suivre, il nous conduit dans une arrière salle, où se trouvent trois personnes habillées en civil assises derrière une table, et un secrétaire ; prenant des notes  au début de « l’audience », le juge pose quelques questions en serbe, notre interprète lui répond, cette situation était un brin surréaliste, il nous demanda notre identité, le dialogue commença à l’aide de notre interprète venu d’ailleurs. En un temps record, nous avons été condamnés.

      Le traducteur nous dit :

Chacun d'entre vous est condamné à payer une amende de 800 francs, ou risque la prison pour un franc par jour. Chantal S. et moi, en unissant nos voix, sommes victimes d'un violent coup de pied dans les chevilles. Nous n'avions pas eu le temps de calculer, cela correspondait à 800 jours de détention. N’ayant pas d’argent, Patou le vicomte retourna à Belgrade emprunter de l’argent au gentil Consul, le traducteur resta avec nous, trois heures plus tard notre ami de retour, les amendes furent honorées, les passeports rendus et  la 2cv aussi. Accompagnés du traducteur  “inespéré’’, nous rejoignons Belgrade, notre  ange gardien  nous invita dans un bon restaurant, nous parlons de notre voyage, de la pluie, de la France et du beau temps, le repas se déroulât de manière  ordinaire. Il paya l'addition et nous quitta avec une simplicité déconcertante.

     Le lendemain nous remercions le Consul de nous avoir hébergés avec une telle générosité, de nous avoir prêté, personnellement cet argent facilitant notre retour et les paperasses administratives, nous honorerons cette dette à Paris, auprès de sa femme, antiquaire quai Voltaire, dès notre retour en France. Il nous reste environ 800 kilomètres pour rejoindre Baden-Baden, nous devons traverser à nouveau l'Autriche et l'Allemagne pour rendre visite au Colonel, père du Vicomte Patrice E. Nous sommes arrivés dans une situation financière précaire, c'est pourquoi nous avons décidé de venir. Nous étions miséreux, les cheveux longs, sales et barbus, devant la grande porte de la caserne le lendemain matin. Les soldats, voyant la 2cv stoppée devant l’entrée, nous interpellent, Patrice se présente en tant que fils du Colonel, patron du régiment, quelques minutes plus tard, d’un pas militaire un officier, au regard sombre se dirige vers nous et nous fait signe de passer par l’entrée des artistes, vu notre aspect de hippies, nous n’aurons pas l’honneur de rentrer par la grande porte. Après être arrivé dans son appartement de fonction, le colonel a demandé à son fils de se laver, nous l'avons suivi sans hésitation. Malheureusement, notre séjour fut très court, nous n'avons pas été les bienvenus. Il me semblait que les militaires n'aimaient pas être dérangés pendant leur service dans leur garnison. Après douze heures, nous étions en route pour Strasbourg. Dans une heure, nous serons de retour dans notre cher pays, à la frontière française.

      L'accueil a été grandiose, les douaniers auraient adoré démonter la deudeuche! Ils nous ont demandé de vider la voiture, d’étaler tout son contenu sur une longue table, le linge sale, les mégots, les Tampax, le narguilé, et les souvenirs de cinq semaines de voyage, passées, la moitié du temps dans cette auto, les douaniers n’ont pas été déçus de leur fouille, la voiture ressemblait à un dépotoir, ils n’ont pas pu démonter la roue de secours fixée sur le capot avant, il n’y avait rien à trouver, tout avait été fumé, (même la moquette !) Le contrôle terminé ils nous ont demandé de tout remettre dans la 2cv et de reprendre la route.

    Ayant déposé mes amis dans leurs familles respectives, me revoilà dans le giron. Mon père était heureux de récupérer sa voiture en bon état, ma mère contente de retrouver son fils, sain et sauf et en bonne santé, après ce long voyage au-delà du rideau de fer. Mes souvenirs ont agrémenté quelques soirées et convaincront les positions anti-communistes de mon père.

     Il repartit travailler le lendemain matin au volant de la 2 CV, il crevât dans les champs, ne pouvant démonter la roue de secours il rentra furieux à la maison pour le déjeuner.

 

 

                           


                                 

                                                     

 




   

                             

                                        






           

 

 

                              


                                

                                     

                      

 

                               



                                                       

 

 

 

 

 

 

                                         

     Après avoir vécu l'aventure d'Istanbul, j'ai passé plusieurs mois à rester au chaud chez mes parents. Je prenais soin de ma TR3, le voisin sympathique, le garagiste posa une plaque de tôle fine sur le bas de caisse attaqué par la rouille. J'opte pour l'orange des travaux publics qui s'harmonisait parfaitement avec le bleu canari des sièges et des garnitures intérieures, 69 était une année colorée et la tendance était psychédélique.

   En juin 1969, Pompidou est élu président de la république, André Malraux n’est plus ministre de la culture, il est resté à ce poste 9 ans et 11 mois, un record.

       Je fis quelques visites à Paris chez mes amis berruyers, certains avaient migrés vers la capitale, ils m’hébergeaient dans leur chambre de bonne, au sixième étage sans ascenseur, WC et toilettes sur le palier. Un seul habitait au rez-de-chaussée, c'était Dédé, avenue d'Eylau près du Trocadéro, il poursuivait des études dans le domaine du commerce, il devait prendre la relève de ses parents et de ses grands-parents et assurer la gestion du patrimoine, Dédé étudiait! D'autres personnes étaient à la recherche d'un emploi, d'une idée, d'une amie, nous cherchions également à comprendre la vie, elle est belle la vie, mais il faut la vivre! Le vicomte était à “ Langues O’’ c’était très à la mode, après la découverte de Katmandou sur la carte ! La fac était porte Dauphine, où il y avait, aussi, d’autres disciplines inavouables ! Lors d'un concert de Ravi Shankar, maître incontesté du sitar, la salle était enveloppée d'une douce odeur de marijuana et j'ai eu le plaisir de faire la connaissance de nouveaux amis.

    Pendant la journée, Claude P. travaillait dans le café restaurant de son père, sur la côte de Suresnes, juste après le pont de chemin de fer. La nuit, il jouait au poker, un talentueux flambeur, bien sympathique.  Il avait bossé, dans un club de vacances, et passait des nuits à plumer les pigeons, qui se renouvelaient chaque semaine, il avait de bons souvenirs de son boulot “d’animateur’’ pendant quelques années chez “l’inventeur des camps de loisirs’’ Trigano. Nous avions sympathisé, avec ses amis, il m’entraînait à l’hippodrome de Saint-Cloud, il avait de bons tuyaux “Romance gagnante dans la troisième’’ par prudence, j’avais joué placé, « Romance » gagnât dans la troisième, mon gain était minable, les copains se fichaient de moi, il fallait que je me mette à la hauteur ! En fin d’après-midi, nous allions rejoindre des compères dans un grand café, toujours à Suresnes. C’était l’heure de l’apéro, ils discutaient des courses et du beau temps. Tout le monde jouait dans ce troquet au rami, à la belotte, au 421, sur tous les jeux les points valaient au minimum un franc. Dans le centre de la salle, un immense billard français, connu sous le nom de 'carambole', était éclairé d'une lumière tamisée, donnant à cette salle enfumée l'apparence d'un tripot. L'atmosphère était chaleureuse, les habitués étaient nombreux, et les femmes étaient rares dans ce bar, tout le monde attendait avec impatience la fermeture. Le patron fermait les rideaux, vers minuit, bien avant l’heure officielle. Chaque joueur achevait sa partie, les joueurs de billard replaçaient les cannes dans leur râtelier, et rendaient les trois billes au patron. Posément les parieurs entouraient le billard, les deux dés apparaissaient sur le tapis vert, un gars rappelait la règle de la passe anglais, jeu d’origine américaine, un jeu d’argent avec lequel, vous pouviez très vite vous faire dépouiller.

     Les joueurs de hasard, comme ce lancé de dés, “la passe anglaise’’ sont toujours dans l’incertitude comme à la roulette ! Des dizaines de milliers de francs circulaient lors de ces soirées autour du tapis vert. Il y avait tellement de monde que les joueurs et les spectateurs pariaient entre eux sur le lanceur gagnant ou perdant, tout le monde jouait. Ce café se transformait en un véritable casino ou en un simple tripot, très bien organisé, avec une ambiance amicale et sans conflit.

 

             Nous étions en 1969, année de légende “ année érotique’’ comme chantait Gainsbourg, années des rêves et d’espoirs, année ou dans le cinéma résonne l’air d’un harmonica et de deux motos parcourant les Etats-Unis, année des Shadocks qui pompaient, pompaient sur notre petit écran, le festival de Woodstock, prévu pour 50 000 spectateurs et qui en accueillit plus de 450 000. Au début, le festival était payant, mais il s'est ensuite transformé en un rassemblement géant totalement gratuit.

        Il y avait un autre café à Suresnes, un petit bistrot de quartier où l'on pouvait jouer au poker. Un vieux tube Citroën était toujours stationné devant la vitrine, j’avais la sensation d’entrer dans un film des années 60 (Tirez sur le pianiste ou le Gorille vous salue bien) mais, il n’y avait pas d’impact sur la camionnette ! Dans ce groupe, nous avions un jeune inspecteur de police, il écartait légèrement sa veste pour que l’on puisse apercevoir son holster, cela signait l’originalité de cette bande de copains qui s’amusait, sans mauvaises intentions ! J'ai suggéré de les inviter à venir passer un week-end à Bourges. Il y avait le Trams, une boîte de nuit, que je fréquentais régulièrement avec mes amis berruyers. Le décor était composé de sièges de bus ou de tramways, le DJ de l’époque avait installé ses platines dans une Austin Healey rouge, plantée au milieu de la salle. Nous étions tous fans de décapotables, Morgan, TR3, c'était un bon moyen de se faire remarquer et surtout de séduire les filles, elles en raffolaient. Depuis la fondation du mouvement général de libération des mœurs et des mentalités, (MLF). Grâce à leur premier slogan « Notre corps nous appartient », les filles de la petite et grande bourgeoisie berruyère ont été libérées. Le « Club » nous offrait un nouveau terrain de jeu et de nouvelles conquêtes. Nous avions usé nos culottes et nos caleçons (développer notre puissance sexuelle !)Dans une autre boîte de nuit, le Hifi-club, qui était devenu trop exigu, notre groupe grandissait, nos ambitions aussi.

       Le patron, passionné de poker, était constamment à la recherche de partenaires, et nous en parlait trop souvent, je lui ai suggéré mes amis de Suresnes. Il a accepté avec plaisir de jouer avec de nouveaux 'partenaires''. Le week-end qui a suivi, mes deux amis sont venus découvrir le Berry ; il ne fallait pas s'aventurer seul dans une terre inconnue!      La situation était plus confortable pour plumer les nouveaux pigeons. Nous avions convenu d'un rendez-vous dans mon village à la Bonne Auberge, puis nous nous sommes dirigés vers Bourges, où ils ont brièvement aperçu notre Cathédrale! Le but n’était pas culturel, pourtant le siège de l’évêque, avait toujours belle allure. Ayant trouvé l’hôtel d’Angleterre, pris l’apéritif et dîné chez Gaston, point d’arrivée et de départ de toutes les aventures berruyères. Vers onze heures du soir, nous achevions notre soirée dans ce night-club, lors de la fermeture, je laissai mes amis en présence des flambeurs locaux afin de décider de leur sort. Le lendemain matin, au petit déjeuner, je les retrouvais. Leur jeu les a enchantés, le chiffre d'affaires du «Trams» et plus, ont été bénéfiques pour eux. Après avoir dégusté un bon repas, ils reprirent la route en direction de Paris. La revanche était programmée pour la semaine suivante, et le chiffre d'affaires devrait revenir à Suresnes ; il n'y avait pas de troisième partie de poker. J'ai laissé mes amis un peu nostalgique, parce que Oh surprise! Une fois de plus, le cinéma avait besoin de moi.

                               

 

                                            

 

                                            

 

                                   

 

 

                

 


                                                     



                                                                                                                                                                         
  Le Cœur Fou

                                      

 

                               

 

   Dès le mois de juin, j'ai commencé ma préparation en tant que salarié, en exerçant un véritable emploi en tant qu'assistant ensemblier. Daniel Louradour et son équipe du film le Grand Meaulnes ont assumé la responsabilité de la décoration ; Alain Q. J'ai eu la chance de découvrir Paris grâce à Ensemblier, qui m'a fait découvrir des antiquaires, des professionnels de la location de meubles et d'accessoires pour les spectacles, les théâtres ou tout autre événement. Le barnum était en place et l’aventure commençait. La préparation du tournage d'une équipe de cinéma est minutieusement planifiée, chaque jour apporte son lot de nouveautés et l'histoire se déroule souvent de manière chaotique. En suivant le scénario, nous pouvons observer l'évolution du tournage, qui était maintenant en train de se dérouler. Aux abords d'un étang privé, Daniel, le concepteur, avait dessiné les plans d'une maison en bois de deux étages qui nous captivait par son charme. Les décors sont toujours éphémères ; cette demeure sera réduite en cendres pour les besoins du film.

    Au cours de ces quatre mois de travail acharné, j'ai eu la chance de vivre dans un environnement rempli de bonheur, en particulier pour moi-même. J'avais été sollicité par la production pour accompagner Michel Auclair lors de sa virée nocturne dans la ville de Bourges, afin de s'assurer de sa présence au tournage du lendemain. Nous faisions « la tournée des grands Ducs ». La nuit à Bourges était très limitée, il n'y avait que deux ou trois bars et les hôtesses étaient d'une beauté « foraine ». C'était incroyable, elles étaient rémunérées en bouchons. Michel, un habitué des soirées arrosées, était d'une grande générosité. À maintes reprises, j'ai ressenti un profond ennui. Au crépuscule, nous parcourions une trentaine de kilomètres pour rejoindre l'hôtel, le nez au vent, afin de soulager mon passager.

     Le cinéma, à la fin des années soixante, était assez folklorique, j’utilisais une Méhari rouge, qui était un véhicule « raccord » comme l’acteur que j’escortais, je ne me rendais pas compte des responsabilités que la production prenait, un accident aurait pu engendrer mille problèmes, après 1968, tout était possible le pire et le meilleur !

     Dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969, toute l’équipe du film et un milliard d’êtres humains étaient scotchés à leur écran de TV, ils suivaient l’exploit du module lunaire d’Apollo en temps réel ou presque. Neil Armstrong lâcha une phrase voué à l’ “Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité’’.

       En ce moment précis, j'ai fait la rencontre de mon premier grand amour, elle s'appelait 'Plumeau''. Je venais de faire la connaissance de mon âme sœur. Elle est arrivée dans ma vie à ce moment précis, le lendemain elle m'a accompagné jusqu'à mon lieu de travail, nous cherchions tous à conquérir notre liberté et à vivre des expériences extraordinaires. Elle me dit que ses parents étaient informés de son escapade et qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter à ce sujet. Trois jours plus tard les gendarmes arrivèrent sur le tournage avec peu de discrétion ; pour se renseigner au sujet de ma nouvelle compagne, elle se présentât aux pandores et leur justifia sa présence. Le jour suivant, elle se rendit chez sa mère, qui habitait seule, et elle revint vers moi avec sa valise. Une nouvelle vie de couple et de bonheur s'offrit à un temps indéfini.  En septembre, le Cœur Fou fut terminé et Gabriel Albicocco me proposa de me joindre à lui à Paris, car il avait du travail à me confier. Il fallait que je trouve un studio à Paris, Gabi ne m’avais proposé de me loger. Aimée, ma grand-mère, en parlait ; elle m'a dit qu'elle avait un cousin éloigné ou apparenté. Ancien marin au long court à la retraite, habitant à Paris dans le 18e arrondissement. Il possédait un appartement meublé situé rue Berthe, qui devint ma troisième résidence parisienne. Plumeau m’accompagna dans ce quartier des Abbesses, à 20 mètres du Bateau-lavoir ; Résidence d’artistes depuis le XXe siècle, peintres et écrivains s’y retrouvaient, ce “Bateau’’ vit naître le cubisme et d’illustres peintres y travaillèrent comme Henri Matisse, Georges Braque, Fernand Léger ou Constantin Brancusi. Après la guerre mondiale, les artistes se sont tournés vers la Ruche à Montparnasse plutôt que vers le quartier de Montparnasse.

    Mon nouveau village se composait de la rue Le Pic, du Moulin rouge, de la place Pigalle et de la butte Montmartre. Après avoir séjourné aux Halles, squatté dans la rue des Cannettes, avenue Mozart et dans les chambres de bonnes de mes amis, je pouvais enfin me sentir chez moi. Un restaurant s'appelait « Chez plumeau », rue des Martyrs, et mes amis avaient décidé de donner le nom de « Plumeau » à ma fiancée, pourquoi? « Elle avait tout simplement les cheveux très court » dans notre idylle, bucolique, diabolique, psychédélique, érotique, psychiatrique, elle porta toujours ce nom ; je ne me rappelle pas, ni de son nom ni de son prénom, avec un grand regret.

   Avec le succès du Grand Meaulnes, surtout aux Etats-Unis, grâce aux images floues illustrant les rêves de Meaulnes et les visions hallucinogènes des sixties ; Albicocco avait pu acheter un petit hôtel particulier avenue Mozart, le travail qu’il m’avait proposé, était de repeindre quelques pièces trop vieillottes de cet appartement. En fin d’année 1969, ma nouvelle vie parisienne était d’aller de la rue Berthe à l’avenue Mozart pour mener à bien se nouveau chantier. Cet endroit était également le centre névralgique et le point de départ de la Quinzaine des réalisateurs. Le festival de Cannes s’ouvrit normalement en 1968 malgré la révolte étudiante touchant Paris. Les événements ne l’atteignirent pas dès le début en raison de la distance conséquente de Paris et d’une  proximité tés relative d’une seule université : celle de Nice. Cependant  Le faste des cérémonies choque face à la violence extérieure : des cinéastes n’hésitent plus à crier au scandale.  Jean-Luc Godard, François Truffaut, Milos Forman ou Claude Lelouch envahissent ainsi le Palais des Festivals et de vives altercations éclatent les réalisateurs et les invités. Certains s’accrochent aux rideaux rouges pour empêcher la projection du film Peppermint frappé. Après d’âpres négociations. le délégué générale Robert Favre Le Bret ainsi que le conseil d’administration annulent l’édition et le Festival est clos. Pour faire face aux événements et à la censure cinématographique qui ont pris racine dès le début du Festival, les contestataires cannois ont créé la Société des Réalisateurs de Films. Les fervents défenseurs de la Quinzaine sont Jean-Gabrielle Albicocco, Pierre Kast,Jacques Doniol, Michel Mitrani, Louis Malle, Jacques Deray et Costa-Gavras. Gérée par les membres de la SRF de façon indépendante, choisissant eux-mêmes les films faisaient partie de la sélection, elle les qualifiée de «contre-festival ».

 

    La Nouvelle Vague et ses fervents défenseurs de la quinzaine sont Jean-Gabriel Albicocco, Pierre Kast, Jacques Doniol-Valcroze, Michel Mitrani, Louis Malle, Jacques Deray et Costa-Gavras, Pierre-Henri Deleau, fondateur et directeur de festivals de 1969 à 1988.

       Une fois que la peinture du rez-de-chaussée fut achevée, le fondateur s'installa pour préparer la première Quinzaine des réalisateurs. J’ai donc croisé tous ces metteurs en scène, ma participation à cette première sélection du Festival de Cannes fut de coller les timbres et les enveloppes entre quelques coups de pinceaux. À cette époque, Albicocco vivait à crédit, le Cœur fou n'avait pas connu le succès escompté. Mon salaire était payé en nature ; fréquemment, il me conviait à dîner chez Castel, au Bilboquet ou dans d'autres restaurants où il avait des crédits. Smalto grand tailleur de l’époque, m’habilla de pied en cap, Gabriel me donnait de temps en temps un peu d’argent, ce travail avec Gabi dura jusqu’en mai 1970. La vie de notre couple avec Plumeau était parsemée d'obstacles, la tolérance ne faisait pas partie de mes qualités, la jalousie amoureuse peut se transformer en cauchemar. Nos séparations étaient fréquentes mais nous étions toujours amoureux, la jalousie est souvent considérée comme une émotion malsaine, en réalité, il s’agit d’une émotion au même titre que les autres ni saine, ni malsaine en soi.

 

                           

                      

                                         

 

 

                          

                                       

 

                                     

 

 

 

                                    

                                      

                                                     Le petit Matin

 


                                   

                                          

                                

 

                                    

 

      En 1970, le film d'Albicocco, Le Petit Matin, a été réalisé en s'inspirant du roman de Christine de Rivoyre. La tragédie des émotions et de l'amour se joue sur le fond de la seconde guerre mondiale, commençant en août dans les Landes, ce pays du Sud-ouest. Pendant une durée de 8 mois, j'ai travaillé sur ce film, ce qui en fait mon troisième stage et le fruit de trois années d'apprentissage. J'ai travaillé en tant qu'assistant décorateur. J'étais toujours présent sur le plateau, le décorateur était très solitaire. J'ai bénéficié d'une grande liberté qui m'a permis d'observer les méthodes de tournage et d'éclairage, ainsi que d'acquérir de nouvelles connaissances sur les techniques du cinéma. Le père d'Albicocco était opérateur, il me confiait la tâche de poser des gélatines avec quatre filtres différents : bleu, rouge, jaune et vert. Toutes les fenêtres qui étaient dans le champ de la caméra étaient recouvertes de filtres. Il était fréquent de devoir mettre deux ou trois couches de filtres... Après avoir vécu une nouvelle rupture, Plumeau est venu me rejoindre dans les Landes.

      Madeleine Robinson et Jean Vilar jouaient des rôles importants dans ce film. Plus tard, j'ai réalisé que cet individu était à l'origine du Festival d'Avignon en 1947 et qu'il avait assumé les fonctions de directeur du Théâtre National Populaire (TNP). Il rendit son dernier souffle en 1971 dans sa maison de Sète. Le tournage a été marqué par la disparition d'un autre homme, ce fut de Gaulle.

    Claude Vital était présent en tant qu'assistant à la mise en scène, il m'avait sûrement repéré. Après un an, il me proposa de rejoindre le tournage du film d'Henri Glaeser, une larme dans l'océan. Un film artisanal au budget infime inspiré du roman de Manés Sperber. Dans la Pologne du ghetto de Varsovie. Plus de deux mois ont été consacrés à reconstituer la résistance des juifs dans les caves et les souterrains d'un château alsacien. « Un aristocrate catholique, comte, vend une partie de ses trésors pour constituer une résistance contre les nazis et protéger une communauté juive ». Ce film a été présenté au Festival de Cannes, s’est vu décerner une Etoile de cristal. Il fut également prisé par André Malraux, Eugène Ionesco, Gilles Jacob.  Suite aux événements de 1968, la publicité est apparue à la télévision, un nouveau travail, la publicité. J’avais réussi à me faire une place dans le monde du cinéma français, je me retrouvais désormais en tant qu'intermittent du spectacle. Mes parents, à qui je rendais fréquemment visite, me disaient encore : « Ce n'est pas un métier, tu devrais trouver une situation! »», cela faisait 26 ans qu’ils me répétaient la même chose, je n’ai jamais trouvé cette situation.

 

 

                                  




                                                                                                                                                                Quelques messieurs trop tranquilles
                 





           


 

                              

                                                                

                                                

          En 1972, année médiocre pour les vins de Bourgogne et décès du chanteur Maurice Chevalier, Gene Hackman reçu L’oscar du meilleur acteur pour son interprétation dans French Connection.

   La lutte du Larzac est un mouvement de désobéissance civile non violent contre l’extension du camp militaire qui dura une décennie 1971 à 1981.

       Claude Vital, que j'ai eu l'occasion de rencontrer sur le film de Gabriel Albicocco, le Petit Matin, était aussi le premier assistant de Georges Lautner ; depuis dix ans, me téléphona pour me demander de me présenter au bureau de la production Gaumont et rencontrer le metteur en scène d’un film en préparation.

  Un an s’était écoulé depuis mon dernier contrat et je n’avais pas fait grand-chose, une préparation de 2 semaines pour un film qui n’a jamais vu le jour et un film publicitaire. Plumeau et moi étions encore dans notre petit nid douillet de 15 m², rue Berthe.

     La Gaumont se trouvait à Neuilly, à proximité de l'Arc de triomphe et de la porte Maillot, un quartier chic. Je me présente dans ce temple du cinéma, les pieds bien ancrés dans mes petits souliers. J’avais appris que cette production avait réalisé, de la Folie des grandeurs au Tontons Flingueurs, de Boulevard du Rhum au Pacha, d’Alexandre le bienheureux à Cent Mille dollars au soleil … Ils ont fait rire des millions de spectateurs, déroulant des génériques de stars et de réalisateurs hors pair. J'ai eu la chance de voir « Il était une fois un flic » avec Michel Constantin et Mireille Darc, Claude Vital me reçoit et me présente à Lautner, une grande et forte silhouette apparaît devant moi, son assistant m’invite à m’asseoir. Lautner d’une voie douce me présente en quelques mots le sujet du film : « Un petit village bien français espère voir des touristes, mais une bande de hippie débarque, et dresse une bulle géodésique sur les terres de la comtesse...il me présente une revue américaine contenant une photo en noir et blanc d’un dôme et me demandent avec simplicité :

-- Pouvez-vous construire ce décor ?

 Sans aucune hésitation, je lui réponds :

--Oui, bien entendu, Vital me regarde en approuvant ma réponse.

    C’était lui, qui avait conseillé un “nouveau décorateur’’ à Lautner, de toute façon je n’avais pas le choix, avec ma petite expérience, j’étais sûr que cette chance ne se produirait pas deux fois. George se leva et me serra la main.

-- Au revoir et à bientôt.

       Le directeur de production m’a reçu dans son bureau pour préparer un éventuel contrat d’embauche, je lui propose de revenir dans une quinzaine, pour leur présenter une solution menant à bien ce projet. À ce moment précis, je n'avais aucune idée en tête, j'étais heureux et troublé en même temps. Comment surmonter cette difficulté?

   Cette configuration était un problème mathématique, et j’étais nul en “math’’. Il était donc impératif de trouver des spécialistes en mathématiques. En peu de temps, j'ai pris la décision de me rendre à l'Université de Jussieu afin de répondre à cette question. L'architecture de Jussieu m'a laissé une impression peu accueillante. Face à une tour effrayante, je tiens le magazine qui m'a été remis par Lautner. L'université m’était perçue comme un obstacle insurmontable.  La personne que j'avais l'intention de rencontrer était dans mon imagination, mon sauveur. Je me dirigeai vers la première silhouette que j'aperçus dans ma vision. Je lui adressai mes salutations respectueuses, compte tenu de son âge avancé, il devait être un professeur d'université.  Je lui présentai le magazine, lui indiquant qu’il m’était impossible de régler seul ce problème de triangulation, en lui précisant qu’il fallait que je construise ce dôme géodésique pour les besoins d’un film de Georges Lautner, une géode de six mètres de diamètre et une autre de trois mètres. Il me répondit : « C'est un sujet intéressant pour mes étudiants, je te donnerai la solution la semaine prochaine. » Après avoir reçu sa carte de visite, je suis reparti avec une grande satisfaction, ayant résolu cette énigme. La semaine suivante, il me redonna mes documents, avec tous les plans et dimensions des objets nécessaires à cette construction. Je le remercie avec gratitude. J'ai rapidement établi un contact avec la production pour exposer les conditions de réalisation et de construction de ce dôme géodésique.

     Dans le but de prévenir tout risque, je suggère à la production de bâtir la Géode en Normandie dans l'atelier d'un ami menuisier, à Courseulles-sur-Mer. Nous avions collaboré ensemble, sous la supervision de son frère, Daniel Louradour, dans plusieurs projets de rénovation et de décoration d'appartements  Parisien. Ces trois semaines en Normandie avec un complice très compétant, me fait aussi  découvrir le village et ses habitants, amène aussi des surprises. Depuis 1946, le ferrailleur récupérait les vestiges du débarquement, mais en 1971, il rencontrait quelques difficultés pour en faire une source de profit! Le malheur peut aussi apporter son lot de bonnes choses.

    Les délais impartis ont donné la possibilité au premier assistant de Georges et au directeur de production de se rendre sur les lieux pour observer et valider la réalisation du projet. Sans avoir de lien professionnel dans le domaine de la décoration, j'ai formé une équipe de deux personnes. Dont un ami  de Bourges comme ensemblier que j’avais fait travailler dans le Grand Meaulnes et Patou en renfort pendant quelques jours pour s’occupera du cadavre du Monocle dans son cercueil, un clin d’œil pour Paul Meurisse. Ils m’accompagnèrent pour transporter ce décor dans une Estafette Renault vers le Sud, à Loubressac dans le Nord-est du département du Lot. Voici comment une équipe de « déco », ressemblant plus aux “Branquignols“ partirent à l’aventure dans un film de professionnels qui travaillaient ensemble depuis 10 ans. La découverte du Lot et d’une équipe réduite préparant le tournage à venir. Cela ressemblait à un prélude de colonie de vacances.  Plus le jour J, avançait plus la tension montait. Il y avait le plan de travail, avec les décors et aménagement d’intérieur, des cascades, une station-service, la matrice recto verso d'un billet de cent dollars. Avec un “passe-droit’’ de Georges Lautner,  la géode fut montée, dans « le champ de la Comtesse ». Pour la matrice, la méthode fut la même que pour les calculs de la Géode. L'office central de la répression des fraudes était facilement accessible grâce à Lautner et ses Tontons Flingueurs. Après avoir exploré le bureau d'un professionnel spécialisé dans le domaine, il ne me restait plus qu'à récupérer la matrice dont j'avais besoin, elle était identifiée comme un « duplicata ». Ce travail d'ensemblier et d'apprenti décorateur m'a permis de prendre confiance en moi et d'accélérer ma formation. Après un certain temps, j'ai été autorisé à obtenir une carte d'architecte décorateur du Centre National du Cinéma. Le casting de Quelques messieurs trop tranquilles était composé : Jean Lefebvre, Michel Galabru, André Pousse, Paul Préboist, Robert Dalban, Renée Saint-Cyr et Miou-Miou ces personnages engendraient une ambiance de fête dans notre travail. Ces acteurs que je découvrais changeaient l’ambiance que j’avais connu dans les Films de Gabriel Albicocco et de Glaser dans “les caves de Varsovie’’. Toutes les aventures que j’ai vécu avec Georges Lautner et son équipe m’ont donné la joie de vivre, de travailler de prendre des risques et d’apprendre un vrai métier, de rires de tout, Après deux mois et demi, le tournage s’est achevé. Je croyais être dans une autre vie, une deuxième vie, une renaissance, et vivre la magie du cinéma.

     Georges avait opté pour l'installation de la Géode à proximité de sa piscine, près de Grasse où sa mère, Marie-Louise Vittore dite Renée Saint-Cyr (1904-2004), exerçait le métier de comédienne ; avait acquis un grand moulin dans les années 50.

     J'ai abandonné Plumeau pour me marier quelques mois plus tard dans des circonstances très spéciales.   Alors que je travaillais seul dans le moulin, à la demande de Caroline, la femme de Lautner, j'ai eu une idée, bonne ou mauvaise, d'inviter une amie berruyère de l'époque.

      Le jour suivant, quelle surprise, deux jeunes femmes arrivent à la conquête du Moulin. Le deuxième étage comptait trois chambres. Le premier jour se passa paisiblement, mais au deuxième, les choses se compliquèrent, et au troisième, il ne restait plus qu'une seule, elle s'appelait Marie Chantal. 

 

 

    

       

         Durant quelques mois, j'ai été à proximité de Georges et de sa famille, en effectuant des travaux d'aménagement intérieur et de nombreux autres services. Souvent je l’accompagnais à l’aéroport de Nice, ou à Paris, tous m’acceptèrent parmi eux, je découvris une autre vie, un autre monde, le charme de la côte d’azur et son arrière-pays, le Berry me paraissait bien loin. J'ai été chargé de construire une tonnelle et un espace cuisine-barbecue sur une surface arborisée, qui était libre depuis un bon moment. Il était toujours possible de trouver un artisan pendant cette période, car je ne possédais pas toutes les compétences! J'ai pu terminer ce projet grâce à l'aide d'un forgeron. Le jardinier, qui s'occupait de l'entretien de la propriété depuis longtemps, m'a apporté son aide pour la construction du coin cuisine. Lorsque cette zone sera aménagée. Il était possible pour une douzaine de personnes de se retrouver ou de prendre un repas dans cet endroit champêtre. Caroline prenait en charge l'organisation de repas où j'avais l'opportunité d'écouter et de rencontrer des célébrités. Raymond Aron enseignant pendant trente ans notamment à l’institut d’études politiques de Paris et à l’école des hautes études en sciences titulaire de la chaire au collège de France en 1970. Pendant des décennies, ce personnage a occupé le devant de la scène médiatique, en couvrant la radio, les journaux et la télévision avec ses connaissances et son large nez.

 Marcel Amont, qui était également présent dans mon enfance.

 Michel Audiard et Robert Hossein, deux grands orateurs devant l'éternel. Caroline avait remis à César des bijoux anciens, et il était venu lui offrir la compression qu'il avait conçue.

 En 1955, Jean Lartéguy, un correspondant de guerre et un grand reporter chez Paris-Presse et Paris Match, se voit décerner le prix Albert-London. J'étais fasciné par tous ces personnages. Au fil du temps, je suis parvenu à une meilleure compréhension de ma pensée sur la science humaine et sa comédie.

      Premier assistant réalisateur de George, Jean-Michel Carbonneau, fils de son père, Norbert, réalisateur et scénariste, des années 1950 aux années 1970. Très proche de Renée Saint-Cyr, avait comme premier assistant à la mise en scène, Georges Lautner… Sa mère, Renée, était souvent au moulin. Elle nous a relatés les moments agréables passés avec Jouvet, Maurice Tourneur dans Les Deux Orphelines. Sa carrière s'est aussi déroulée de 1932 à 1943. La mère de Georges venait, comme tous les matins au petit-déjeuner, impeccablement mise. Particulièrement heureuse ce jour, en nous annonçant le projet d'une interview de sa période allemande pour Arte; Caroline et George déçus, d'une seule voix dit: Oh, non Moune !

  Il était courant pour les assistants réalisateurs de Lautner de se lancer dans une carrière de metteurs en scène. Réaliser leurs premières vidéos, Claude Vital OK Patron, Marc Rivière Le crime d'Antoine, Robin Davis Ce cher Victor.

                                   

                  

  



 

                               

 

 

 

    Les films publicitaires, leurs budgets importants, nous ont permis d'attendre le prochain long métrage. Georges m'a fait connaître d'autres productions et annonceurs, ce qui m'a ouvert de nouveaux horizons. Les pubs nécessitaient souvent des décors très sophistiqués, du temps de travail et des déplacements. Certains produits avaient besoin de décors exotiques, les lagons, les palmiers devenaient une valeur ajoutée pour les sodas, même Tarzan, du haut de son arbre était équipé d’un four à micro-onde. La publicité à la télévision française voit le jour au début des années 1970. Les agences publicitaires, les productions foisonnaient. Les Américains, les Japonais aimaient venir filmer et promouvoir leurs produits dans un décor que Paris leur offrait.

 

                                                LA VALISE

 

                                           


   

 

           Chaque film nous appelait à une nouvelle histoire, j’eus la chance de travailler avec la même famille, le prétexte étant la comédie, Mireille Darc, Jean-Pierre Marielle, Michel Constantin, Jean Lefèvre, Galabru et tous les autres fidèles dans leurs seconds rôles. Mon aventure ne fut pas toujours une “ partie de plaisirs’’, mais j’en ai rapporté mille anecdotes et d’heureux souvenirs, surtout pour un débutant, étant accessoiriste dans ce film, ayant eu son premier rôle parlant, avec Mireille Darc comme partenaire, dans le “remake’’ d’un sketch de Pierre Dac et Francis Blanche.

       En 1973, au petit matin, sur l’ordre du général Pinochet, les troupes investissent les rues de Santiago, capital du Chili. Le palais présidentiel où le Président Salvador Allende s’est réfugié est bombardé. Plus tard, le porte-parole de Pinochet annonce le suicide d’Allende, Marlon Brando enverra à sa place, une jeune actrice indienne à la cérémonie des Oscars, pour refuser son prix d’interprétation masculine du Parrain Don Coleoni.

           La Valise a été tournée à Almeria, dans le sud de l'Espagne, et aux studios de la Victorine à Nice, où les décorateurs locaux étaient imposés. C'est grâce à Georges Lautner que j'ai pu décrocher un poste dans ce type de film, cette fois-ci en tant qu'accessoiriste. Un métier tout nouveau que je m'apprêtais à apprendre sur le tas. L’accessoiriste de plateau doit, toujours être présent sur le tournage et assurer tous les besoins de la mise en scène, un valet de luxe, j’ai assuré ce rôle, tous les métiers du cinéma ont leurs intérêts. Cela remplit votre curiosité et améliore votre apprentissage, faire la connaissance de tous les techniciens, machinistes, électriciens, l’importance de la scripte, du cadreur et des premiers, deuxième, troisième assistant, qui prennent modèle sur le metteur en scène, en espérant un jour être un nouveau Lautner, rares sont les élus.

    Un jour, j'ai posé la question à Georges de me prendre comme assistant-réalisateur, et il m'a simplement répondu : « Non, reste à la décoration », il avait tout à fait raison. Au début de sa carrière, il travaille en tant que décorateur dans le film 'la route du bagne'. Rédiger ses mémoires est un véritable défi, comment aurais-je pu imaginer des scénarios et raconter des histoires.

        Après avoir travaillé pendant 15 ans avec Lautner, Claude Vital se lance dans sa première réalisation cinématographique. Je suis très content d'avoir été choisi comme décorateur. Ce fut le début de la carrière cinématographique de Jacques Dutronc, avec la présence de Mireille Darc et Francis Blanche dans le casting.

 J'ai découvert la Baie de Somme et Yves Robert en tant qu'acteur grâce au Crime d'Antoine, qui était aussi le premier d'un autre premier assistant. Dans le monde du cinéma, il y avait une famille qui exécutait son travail avec passion et fidélité, ce qui m'a permis de poursuivre mon parcours pendant plus de vingt ans. C'était également un emploi pendant la période des Trente Glorieuses, la télévision et le numérique n'avaient pas encore détruit le cinémographe.

 

                                              

                                                                            

 

                                                             

                                          

                                                       Pas de problème

 

 




            

 

                                                    

           En septembre de l'année 74, nous avons commencé un troisième film avec la Gaumont, Pas de problème! Nous avons passé l’hiver à Annecy, l’équipe de tournage filmait sur un travelling, beaucoup de scènes se passaient dans les voitures sur l’autoroute en construction par un froid de gueux. Parmi les acteurs principaux, on retrouve Jean Lefebvre, Miou-Miou et Annie Duperey. J'ai eu l'opportunité de modifier et de repeindre la voiture d'Henri Guybet, une Plymouth Fury III Station Wagon de 1966. Après la représentation de Quelques messieurs trop tranquilles, Renée Saint-Cyr, Cyr, Robert Dalban, Henri Cogan et Jean Luisi se retrouvent. Les membres de cette équipe se réchauffaient en se réunissant autour de soirées inoubliables dans les night-clubs de cette ville frontalière. 

  Pendant toute cette année 1975, j'ai eu la possibilité de travailler en étroite collaboration avec Lautner. Marie-Chantal, vint nous rejoindre et passer ses vacances d’été dans l’arrière-pays de Cannes ; elle était enceinte de notre fils Guillaume, il vit la lumière, le premier octobre de cette année dans la ville de Bourges 

      Nous étions locataires du 28e étage sur la dalle de Tolbiac à Paris, dans un immeuble à faible revenu à Paris. En l'espace d'un an, le quartier est devenu le Chinatown du 13ème arrondissement, les Asiatiques ont évincé les Africains et se sont emparés de tous les magasins de l'esplanade de Tolbiac. Dans cette tour, nous avions le contrôle de la ville et de sa périphérie sud, parfois la brume matinale cachait la capitale, nous étions dans les nuages. Le seul instant où nous avons pu voir le défilé lors du passage des avions de l'ouest vers l'est à basse altitude, c'était le 14 juillet.

     Après une année scolaire, la mère de Guillaume, née en octobre, désirait qu'il saute une classe, car il se distinguait par son assiduité et son charme envers sa maîtresse. Elle supposait que ce garçon était parmi les élèves les plus doués de la classe. Pendant le tournage d'un film à Paris, j'ai demandé à l'équipe de menuiserie de construire les meubles de sa chambre. J'ai conçu un lit Cosy pour lui, il en était vraiment enchanté.  Dans le Berry, nous aimions passer nos fins de semaine dans la campagne de mes parents. Avant la Porte d'Italie, il y avait toujours beaucoup de monde dans les retours dominicaux. Les vacances étaient organisées chez les beaux-parents à Port-Grimaud.  Après onze années de vie commune, notre famille a rompu, la mère étant bien intégrée dans la vie parisienne.

  Le 30 novembre 1978, elle se trouvait au ministère du Travail lorsque le ministre Robert Boudin a perdu la vie suite à une noyade de quarante centimètres d'eau.

       Après mon départ de Paris en 1987, il nous a fallu une décennie pour renouer avec mon fils.

    Il est maintenant âgé de 48 ans, il a décidé de mettre fin à sa relation avec sa première femme. J'ai deux ravissantes petites filles. Alice a 14 ans. En 2020, une merveilleuse petite poupée est née, Gabrielle, grâce à la conquête d'une seconde admiration.

 

 


             

 




 

 

 

                                                  

                      

                   

                                                     ON AURA TOUT VUE







 

                                           

    

 

                             

                          

 

 

     En 1976 mise en liquidation de la fabrique d’horlogerie LIP à Besançon. L’immeuble ou vivent Jean-Marie Le Pen, sa femme et ses 3 enfants est éventré par 20 kilos de dynamite. Pour la réalisation du film On Aura Tout Vu, nous nous rendons à nouveau à Nice, dans les studios de la Victorine, afin de tourner une comédie bien française. En compagnie de Pierre Richard, François Perrin et le talentueux Jean-Pierre Marielle, Miou-Miou, les débutants Guybet, Jugnot, Clavier, Valérie Mairesse, Michel Blanc et Sabine Azéma. Au moment où les films pornographiques sont devenus populaires aux Etats-Unis, Francis Weber et Georges ont écrit ce scénario.

Sans aucun doute le meilleur film de Lautner. Un film impensable à réaliser à cette époque revenue aujourd’hui au puritanisme et à la philosophie de comptoir. Lautner aborde le sujet de la pornographie comme personne ne l’a jamais fait. Résultat, le film est à mourir de rire. Pierre Richard touche au génie burlesque, Miou-Miou est formidable et Jean-Pierre Marielle touche grâce. Étant aux studios de la Victorine, les décorateurs  niçois et leur équipe sont imposés, il faut partie de la régie. Pendant une durée de 3 mois, j'ai eu le privilège de participer à un tournage à Nice en tant qu'accessoiriste de plateau. Je pouvais même photographier à titre personnel.  

 

                                             Mort d’un pourri

 












                                                    

                                      

                                          

                           

      En 1977, a eu lieu le tout premier festival du Printemps de Bourges, avec l'exécution d'Hamida Djandoubi à la prison des Baumettes. Après lui, plus personne ne sera exécuté en France.

       Le film « Mort d'un pourri » a été financé par Alain Delon en tant que producteur.  Lautner réalisateur, Audiard scénariste, la distribution et la fine fleur des seconds rôles de l’époque (pour la majorité hélas disparus) Michel Aumont, Maurice Ronet, Daniel Ceccaldi, Julien Guiomar, Klaus Kinski, Henri Virlojeux, Ornela Muti, Mireille Darc et Stéphane Audran. Georges Lautner et son assistant m'ont annoncé ma place de décorateur, mais que j’allais sûrement me faire virer par “Delon '' dans 15 jours. C'est comme ça que j'ai commencé à m'engager pour ce film, La Mort d'un Pourri.

       Malheureusement, tu ne seras pas présent sur le plateau de tournage, mais une assistante sera présente pour présenter tes décors. Ils avaient peur que je dise n'importe quoi au producteur et acteur Alain Delon, ils avaient peur de Delon. Le tournage commença ; mon équipe et moi arrivions les premiers en Alfa Romeo, Porsche, Austin Copper, d’occasions bien sûr, dans le parking de cet immeuble transformé en studio de cinéma, nous le croisions rarement. Au bout d’une dizaine de jours, il licencia le chef opérateur, qui travaillait  depuis 30 ans avec George Lautner, il n’était pas satisfait de la lumière et de sa “mine’’ un peu rouge qu’il avait vue aux rushes, il était le patron. Pendant que nous édifiions, dans le sous-sol, une cabine de gardien de parking pour les besoins du film. Il prit conscience que nous étions l'équipe de décoration qu'il ne nous avait jamais aperçue sur le plateau, pour cause. Dans sa démarche “d’homme pressé’’ et sa taille moyenne, sans s’arrêter, il nous regarda et nous dit, avec sa froideur habituelle : « vous êtes des chefs ! Un homme qui s'adressait rarement à autrui, sauf pour souvent les sermonner! Nous étions satisfaits de cette reconnaissance. En fin de semaine, l’apéritif qui réunit toute l’équipe, l’acteur-producteur était satisfait et de bonne humeur, le nouveau chef opérateur lui avait fait la lumière qu’il souhaitait, et il était parmi nous, tout souriant. L’équipe de la déco aussi, le tapissier, un ami, de descendance sicilienne et bon parleur, ne tarda pas à s’adresser à Delon pour lui parler de vélo, sachant que l’acteur était aussi amateur de bicyclette. J'ai rejoint leur bref échange et le thème s'est conclu par l'arrivée du Tour de France. Un assistant de la mise en scène est venu me voir la semaine suivante pour me dire que Delon m'attendait dans son bureau, en s'imaginant que je serais licencié bien entendu. De suite, je me présente et frappe à la porte de notre  “patron à tous’’, tout en étant perplexe. Il m’invita à entrer, je le trouvai seul dans son bureau accompagné d’un vélo de course appuyé sur le mur, il se leva et me présenta le vélo que Mireille Darc lui avait offert, nous étions en juillet 1977. Comme un enfant gâté il me décrit toutes les caractéristiques de ce vélo, de montagnes, qui permit à Eddy Merckx d’arriver 6éme pour son dernier  Tour de France. Soulagé je sortis du bureau, quelques curieux étaient dans le couloir pour me demander ce qui s’était passé, ils furent très étonnés de la raison de cette convocation, et je n’en étais pas peu fier.  Quelques semaines plus tard, Mireille Darc qui participait à ce film et vivait à cette époque avec Delon, me demanda si je pouvais m’occuper de l’achat et  la pose  de la moquette dans leur appartement, boulevard Kennedy ; j’acceptai malgré le travail  du  film  qui m’accaparait. Elle me donna rendez-vous chez Delon pour choisir dans les collections de pure laine blanche Ecossaise. Trois jours plus tard, je frappais à la porte de Delon, rue François 1er. Un “maître d’hôtel ou  majordome »   en gilet rayé jaune et noir, un air patibulaire, une barbe de 3 jours, m’ouvrit la porte me disant que Mireille n’était pas rentrée, il me conduisit dans un grand salon en me disant d’attendre. Je me retrouvai avec mes échantillons de moquette devant un billard français, face à Delon assis à son bureau au fond de la pièce. Il releva la tête et me demanda s'il pouvait m'offrir une boisson, j'acceptai en lui demandant une bière. L'homme vêtu d'un gilet rayé me le donna sur un plateau, j'ai bu une gorgée et posé le verre sur le rebord du billard. En renversant la bière sur le billard, je me suis retourné et j'ai été surpris par l'entrée de Mireille! Delon se leva de son siège s’approcha et me dit : « ça ne tache pas ». Le choix de la moquette fut très rapide, malgré la remarque de sa compagne au sujet des chiens ; « la moquette pure laine écossaise blanche à poils longs » fut imposée par le “patron’’, et sa pose dans  un délai de six semaines. Je vous épargne la livraison, mais le contrat a été respecté. Quand j'ai présenté la facture au directeur de production d'Adelproduction, étant donné le montant de cette dernière, un coup d'œil à la Tex Avery, fusilla mon visage. La prise en charge de cette facture a été effectuée.

    Vers la fin du tournage de ce film, Delon avait invité toute l’équipe à Douchy dans sa propriété à une heure de Paris. Le tournage de ce jour se trouvait à quelques kilomètres. J’avais fait prévenir Mireille Darc que l’équipe de la décoration arrivait avec un peu de retard, car nous étions sur Paris pour terminer le décor du lendemain, avec Yves Toffolo le tapissier. Comme prévu, nous arrivons en retard. Derrière le portail de la propriété se trouvait un employé qui ouvrit le portail et nous conduisit vers le parking en entrant dans la propriété. Delon se dirige vers nous, nous serre la main avec un grand sourire et nous présente ses chiens, tous de la même race. Il nous conduit vers la table où toute l'équipe était arrivée à l'heure depuis un certain temps, Georges et son groupe d'assistants nous regardaient d'un mauvais œil. Mireille vient nous rejoindre et nous accompagne jusqu'à l'endroit qu'elle avait réservé à notre égard. Nous avons également eu le plaisir de déguster une délicieuse épaule d'agneau. Après le repas, Alain Delon me convia une nouvelle fois, cette fois-ci avec Yves, le tapissier, à le suivre à l'intérieur de sa demeure ; afin de découvrir un autre vélo dont il était très fier, sa légèreté était remarquable, et nous avons pu échanger sur le sujet du vélo.

   Nous étions sur le point de terminer le tournage, dans la station du RER à La Défense, il restait quelques plans à réaliser. Aujourd'hui, l'équipe de la décoration n'avait plus de travail, car notre contrat était arrivé à son terme. Yves et moi étions en train de dire au revoir à toute l'équipe. Delon était là, l'acteur principal est généralement sur le plateau quotidiennement. Nous saluons toute l'équipe, après avoir serré la main du responsable de production, qui était à côté de son "patron",

 Je dis au revoir à Delon, il me demande :

Est-ce que tout se passe bien?

 Je n'avais pas envisagé cette question, je lui réponds :

Cependant, quelques employés n'ont pas pu bénéficier de leurs heures supplémentaires.

 __ Il me répond :

 __ Ils ont travaillé ? 

 __Je réponds :

 __ Oui

       S’adressant à son “directeur de production’’

 __ Il faut les payer.

     Une fois de plus, Georges et son équipe ont tous eu un regard mauvais à mon égard.

 Après avoir quitté le plateau, le responsable me dit : «Tu aurais dû me parler»

Cela faisait des semaines que je lui en parlais!

     Le 16 août 1977, Elvis Presley meurt d’une crise cardiaque.

   Premier atterrissage du Concorde à New York, décès de Charlie Chaplin meurt à l’âge de 88 ans.

 

 

             

 

                       

                 

                 

                                    

                                        

                           

 

 

 

                                         

                                              L’ile Maurice

 

                   


 

 

 

             

    En 1978 « Ils sont fous ces sorciers », le titre du film et l'aventure mauricienne, étaient insensés. Le plan de travail présenté, débuté par la fin du film, donc à Paris.  Il y avait beaucoup de trucage, le numérique n'existait pas à cette époque. Faire léviter une voiture, la faire rouler rapidement et longtemps en marche arrière, grâce au cascadeur, comme Rémy Julien. Suspendre au plafond Jean Lefèvre, fixer Henri Guybet en lévitation à l’horizontale. Après cinq semaines de tournage, les deux tiers du film étaient terminés, il restait les cascades à tourner. Nous allons les réaliser vers Montargis, le fief de Rémy. La production avait prévu, un repas à la fin du film, puisqu'une petite équipe allait à Maurice. En fin de soirée, nous nous quittons dans l'espoir de nous retrouver bientôt pour une nouvelle aventure.

      Chacun prend son véhicule et rentre au bercail. Je fais de même sur le périphérique pour atteindre la porte d’Italie, je grille un feu rouge, puis un deuxième à 600 mètres de mon domicile. Je me gare, sans me soucier, nous avions bu, heureusement qu’il n’y avait pas de contrôle d’alcoolémie, à cette époque. Lorsque je suis sorti de ma voiture, j'ai réalisé que la police me suivait, leurs gyrophares allumés depuis quelque temps. J'ai passé mon attaché-case sadiquement sur le capot de leur voiture. Ça a fait bondir les pandores sur moi, la seule chose dont je me rappelle c'est "ma seule défense", j'avais marché sur un képi. Cela m'a coûté, une nuit de garde à vue au commissariat de mon quartier. La visite le lendemain de mon ex-femme, qui me donnât discrètement un médicament pour me calmer. Le directeur de production me trouva un avocat, qui se trouvait être le frère de Patrick Péra, “vice-champion du monde de patinage artistique’’, pour défendre ma cause, qui n’était pas très brillante. Un voyage en camion cellulaire au Palais de Justice et une nuit de plus dans la cellule commune, avec toute la “collection’’ de contrevenants des commissariats parisiens. J’étais avec les miens. Le lendemain, je suis passé devant un Juge, après m’être excusé, je fus libéré, ma défense avait  dû parler au juge avant, la visite a été très rapide. Le jugement a eu lieu quelques mois plus tard. J’ai été condamné à un an de prison avec sursis et 6 mois de retrait du permis de conduire.

    À mon retour dans l'équipe, j'étais tout penaud, ils ricanaient. L’avocat a déposé une plaine, à l’IGPN  pour coups et blessures, et quelques jours d’arrêt maladie. En revenant de l’Ile Maurice, j’ai été convoqué, pour être confronté aux trois policiers qui m’ont quelques peu tabassés. Le chef du groupe a déclaré qu'il ne m'avait pas agressé, et les deux autres ont confirmé la déclaration de leur officier, l'affaire était conclue.

        Ce scénario de dix pages  a convaincu l’accord et la participation d’Air Mauritius et Beachcomber-Tours, du séjour de l’équipe de cinéastes et ses accompagnateurs,  à 15 000 kms pour la promotion de la compagnie et de l’île Maurice. Les comédiens accompagnés de leur famille, le réalisateur aussi, comme voyage organisé, les techniciens ont pris part au voyage. Parmi les acteurs, on retrouve Jean Lefebvre, Ceccaldi, Guybet, Renée Saint-Cyr... avec beaucoup d'imagination, le film et surtout le scénario se construisait jour après jour… Après quatre semaines de rire et de travail, le tournage a pris fin, le film n'a pas eu beaucoup de succès.

     L'Hôtel Trou aux Biches date des années 60, était le plus beau site du nord de l'île sur 2 kilomètres, les bungalows étaient éparpillés dans un grand jardin luxuriant, le décor était absent, les bars de plage étaient dos à la mer et la construction, en béton brut. Il y avait trois hôtels en bord de mer à l'époque. Cette chaîne hôtelière appartenait à Herbert, Beachcomber Resorts. Je vivais sur la plage, dans le bungalow du “patron’’ ; il y avait un hobby Cat, un  zodiac, des cannes de golf, le Casino et l’océan indien à portée de main : le paradis.

     Je suis resté (le film étant terminé) pour étudier un projet de décoration et d'aménagement de la réception, le groupe du film avait quitté l'île Maurice, sans moi. Après avoir étudié le projet, fait les plans et dessiné  l’accueil, c’était le premier “ouvrage ''.  Mon équipe était composée, du chef jardinier qui était responsable de tout l’espace de l’hôtel de Trou aux Biches, de la plage, du golf, me conseillait, pour former une équipe journalière de 8 personnes, il fallait en convoquer 12 tous les jours. Je me suis vite rendu compte que le rythme de travail à l'île Maurice n'était pas européen. J'ai vite fait de m'adapter à leur philosophie du temps, ils avaient raison. Souvent j’allais à Saint-Louis, la capitale de l’île, pour rencontrer des entreprises, car les conditions, « était d’employer des matériaux locaux uniquement. Le matin je traversais les villages, tous les habitants marchaient à droite de la route, le soir de mon retour ils étaient encore à ma droite, très vite je m’aperçus, qu’ils marchaient à l’ombre.

    Ma petite famille m'a rejoint au nirvana. Mon fils, qui m'avait accompagné à Orly et avait vu l'avion décoller, pensait que son père allait autour du monde. Il a également atterri et retrouvé son père.

   Après chaque tournage, je suis revenu travailler à l'Île Maurice pendant plusieurs années. Dans la capitale Port-Louis, j'ai mis en place le premier self-service au centre-ville, à proximité de l'assemblée nationale. J'ai imaginé des bars en forme de cercle sur la plage, en face de l'océan, et créé un pavillon témoin pour l'hôtel de Trou aux biches.       Entre ces voyages réguliers dans l'océan Indien et le tournage en France et à l'étranger, ce fut une période merveilleuse. L'île est longue de 65 kilomètres et large de 45 kilomètres. Herbert, le responsable du groupe d'hôtels et quelques collègues, nous retrouvions régulièrement les dimanches. Le Club Med, était près du Trou aux Biches, nous avions nos entrées et vice versa.  Nous allions aussi au fortin de la famille à la pointe d’une baie au sud de l’île. Il nous a raconté une histoire sur son père et son meilleur ami, ils allaient souvent à la traîne, en aviron tranquillement sur l'océan Indien. Ils eurent une grosse prise les attirant vers le large, ne pouvant pas le ramener vers le canot, son père trancha la ligne, ils ne se sont plus jamais parlé. La légende d’Ernest Hemingway « du vieil homme et la mer ».

     Herbert et Robert, les responsables commerciaux de Beachcomber, avaient planifié un repas avec un ministre du tourisme malgache et le mercenaire Bob Denard. Dans les années 70, les Comores et les Seychelles ont été le théâtre de nombreux coups d'état orchestrés par l'homme fort. Il nous a narré quelques anecdotes des coups d'État qu'il avait supervisés. Il nous expliqua qu'avec une douzaine d'hommes occupant l'aéroport de Maurice et entravant toute communication, c'est ainsi qu'il a réussi ses coups d'État. En 1976, l'armée mauricienne ne disposait que d'un seul hélicoptère.

     Hertz, une filiale du groupe Herbert, était une compagnie de location. Un vieux coupé Renault m'a été confié, sans roue de secours : « Si un pneu crève, n'hésite pas à nous appeler, nous viendrons ». Après une soirée mouvementée, je me suis lentement retrouvé au fond d'un fossé en essayant de regagner l'hôtel en passant par la plage. La seule option était d'attendre le petit matin, au moment où les Mauriciens se rendent au travail, ils te guideront sur le bon chemin. Koenig disait souvent : « Un sac plein tiendrait mieux qu'un sac vide », mais ce n'était pas toujours le cas!

    La pêche au gros, faisait partie des distractions. En cas d'orage ou de tempête, il était nécessaire de sécuriser les bateaux dans le port de Saint-Louis. Nous en profitions pour pêcher le merlu, de gros poissons de 5 à10 kilos, qui étaient dans les années 70, pour les croquettes pour chats, et la pêche “ au gros’’ pour les tourismes. Actuellement, le Merlu est disponible chez les poissonniers.  J'ai eu une chance inouïe lors de ma première expérience de pêche, un Espadon a déroulé la ligne à une distance d'environ trente mètres, peut-être plus. Pendant le déroulement de la ligne, le pilote a stoppé le bateau et jeté de l’eau sur le moulinet qui commençait à fumer, vu la rapidité du poisson. Ils m’ont sanglé sur le siège, freiné le moulinet, le pilote a démarré rapidement, pour ferrer le poisson qui  a jailli dans d’air et plongé dans la mer. Je ne sentais plus de résistance, il avait retrouvé la liberté. Nous étions heureux de l'image que la nature nous avait offerte, j'ai enroulé le moulinet, l’hameçon était ouvert.

   A Trou aux biches, Herbert me propose de retourner au fortin en bateau. Il a remarqué que la jauge de carburant ne fonctionnait pas, et il a dit : « Ça va. » Nous sortions de la lagune, nous étions en pleine mer. Un hors-bord n'est pas confortable, nous arrivons après trois-quatre heures vers le passage de la baie et nous manquons d'essence ! Un pêcheur local nous a remorqués jusqu'au passage de la baie et nous a amenés au fort.

                                                                                                     

           1978 Séquestration du Baron Edouard-Jean Empain de la noblesse belge, les journaux décortiqueront sa vie privée » découvrant tantôt son goût pour le jeu tantôt l’existence de sa garçonnière ; naufrage du pétrolier géant Amoco Cadix, arrivée à Paris de dix-huit paysans au terme d’une marche de 710 km depuis le Larzac.


 

                          

                         

 

                   

                       

                      

                                         

 

                                               Flic ou voyou

           


 

                                           

          

        La ville de Nice, sa promenade des Anglais, ses retraités, ses histoires de casino avec son panorama à couper le souffle sur la baie des Anges et ses studios de la Victorine, fut pour moi une cité agréable à découvrir. Les cinéastes américains et français étaient venus dès le début des années cinquante, tourner de grands films, quelques techniciens et régisseurs niçois, avaient connu ces années glorieuses et me recommandaient « leurs bonnes adresses ». Il était compliqué de leur faire comprendre que d'autres antiquaires, brocanteurs et artisans de la cité étaient également compétents pour collaborer avec nous. En me promenant autour du vieux port, j'ai rencontré des jeunes brocanteurs et collectionneurs qui m'ont donné l'opportunité d'ajouter de nouveaux meubles et objets contemporains dans ma décoration. En 1978, dans le film « Flic ou voyou » en tant qu’ensemblier, ne trouvant pas dans la ville de Nice et ses environs les tableaux, ou copies du 17 et 18ème siècle, indiqué dans le scénario écrit par George Lautner et Michel Audiard.  N’ayant pas les moyens de louer ses tableaux à Paris dans les maisons spécialisées, pour aménager cette villa du cap d’Antibes, « occupée » par une comtesse en manquement d’âme, jouée par la « fille aux yeux verts », Marie Laforêt et son amant, le flic, Jean-Paul Belmondo. Il est crucial que les décors conçus ou arrangés conviennent à la fois aux acteurs, pour qu'ils se sentent bien, et surtout au réalisateur. La ville de Nice où les « cultureux » avaient inventé, « l’école de Nice » dans les années soixante pour identifier un courant artistique qui s’est développé à partir des années 1950-1975, composé de Ben, César, Yves Klein, Claude, Vialat, Arman, Martial Raysse, et les autres. Pendant mes recherches, j'ai eu l'opportunité de rencontrer un galeriste niçois qui était un connaisseur. J'ai opté pour aller lui rendre visite et lui demander s'il serait envisageable de lui louer quelques tableaux et de découvrir sa collection rassemblant tous ces artistes. Il accepta sans hésitation et me conduisit jusqu'à son domicile et me présenta ses peintures. Les murs de son appartement étaient recouverts d'une multitude de peintures et de sculptures. J'ai opté pour quinze tableaux et sculptures, il a accepté de me les louer pour une période de deux semaines. Sans avertir qui que ce soit, ni le décorateur de la Victorine, ni la mise en scène et ses assistants. Dans la plus grande discrétion, je commençais à aménager le grand salon et l'escalier somptueux de cette villa construite dans les années cinquante.  Le sort a été lancé! J'ai négligé les attentes de la mise en scène.                                                 

        En terminant la mise en place avec l'accessoiriste, je lui ai dit que toutes ses pièces d'art étaient des originaux et qu'il devait en prendre soin. Dans mon esprit, le temps se couvrait progressivement, annonçant une averse de bois vert. J'attendais avec impatience la mise en scène, « fidèle à mes convictions ».  Marie Laforêt était encore au maquillage,  Georges et ses assistants entraient dans le hall, la bouche du patron se mit en cul de poule,  « pas bon pour moi ».

      « Ce n'est pas ce que j'ai mentionné dans le scénario! » Me dit Georges en regardant les sculptures d'Arman César et les peintures de Miro, Ben... Les assistants, me regardaient avec anxiété.

« Je n'ai pas eu ce que vous vouliez »                                      

 

                                                                    

                                                                        

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 Il m'a donné un aspect « orageux », justifiant l'orage que ma météo annonçait. Il s'en alla ruminer avec son staff dans le parc de cette grande propriété du Cap d'Antibes, pour parler sûrement du programme de cette journée, mal entamée.      L’opérateur et son équipe mettaient en place les projecteurs pour des plans d’extérieur, les machinistes et assistants  à la caméra s’occupaient de leurs précieux outils ; je suis seul dans le décor qui n’avait pas fait l’effet escompté, pour cause !

     Dès son arrivée, Marie Laforêt et la mise en scène furent présentes dans la villa. Dans le salon, la comédienne était très impressionnée par le style et l'originalité des œuvres. En compagnie de Belmondo, ils effectuent une visite complète du salon en s'arrêtant et en admirant les violons éclatés d'Arman.  J'apercevais le ciel s'éclaircir mais Georges ne le percevait pas du tout de la même manière.

     En 1983, lors du tournage du film Une Femme peut en cacher une autre. George n'était pas ravi par le décor d'une chambre désordonnée, avec le vieux papier peint qui commençait à se décoller.  Quelques semaines plus tard, lors d'une séance privée de projection. Jean-Loup Dabadie, l'auteur du scénario, me confie en compagnie de Georges. Avec un léger sourire, il se représentait la chambre de cette villa des années 50 telle qu'il venait de la découvrir.  Une fois de plus, Georges m'avait fixé d'un regard hostile!

     Écrivant mes mémoires, en novembre 2013, j'ai appris la disparition de Georges Lautner qui a bouleversé ma jeunesse, et appris pendant 30 ans la technique du cinéma. Ce n’est pas juste le cinéaste derrière les tontons flingueurs, mais surtout l’auteur d’une des filmographies françaises les plus riches en matière de comédies et films dramatiques très différents. Je l’appelais sur son portable de temps à autre, toujours  heureux, et souriant mais affaibli, il me disait qu’il était assis sur son fauteuil, qu’il avait des difficultés pour se déplacer. Après un certain temps, j'ai compris à quel point il était important de préserver sa dignité, de se protéger et de partager quelques souvenirs, de se soustraire à la conviction que cela ne sera plus possible. Cet homme était charmant et d'une grande humilité. Merci, Georges.

 Tous ces souvenirs avec un tel homme gentil généreux et d’une grande humanité, se conservent avec passion.

 

                             

                                 Les studios de la Victorine                              

                                                     

           Après avoir fait quelques films publicitaires dans les studios parisiens pour   Ducros, Evian, la Poste et autres produits alimentaires nous retournons aux studios de la Victorine pour une nouvelle aventure : Est-ce bien raisonnable, avec Lanvin, Miou-Miou, Galabru, Guybet, Guiomar et les débuts de Jean-Pierre Daroussin. Un film dont les décors seront entre la mairie du XVIIIème arrondissement de Paris, en tant que palais de justice de Nice et le marché aux fleurs de Nice, entre la mer et le ciel bleu de la Côte d’azur, des conditions de travail qui rendraient jaloux un grand nombre de péquins. Bien que le cinéma soit soumis au stress, il existe bel et bien dans ce monde de gâtés et de mauvaises intentions. Après une journée de labeur acharné et une soirée animée. Il est nécessaire de prendre quelques heures de repos pour pouvoir reprendre l'action à l'aube du petit matin.

    Une idée brillante vint à l'esprit du premier assistant de Georges lorsqu'il pensa à distribuer des talkies-walkies performants sur une distance de 10 km pour la décoration. Ils nous ont mis dans l'embarras et dépendants de leurs caprices. Deux semaines plus tard, l’équipe de déco était aux abonnés absents, nous avions d’autres décors à préparer et pas de temps à perdre pour satisfaire les assistants de la mise en scène abusant de leurs petits pouvoirs et espérant tous de devenir de grands réalisateurs pointilleux. Lanvin avait fait le déplacement jusqu'à Nice dans son Ford Transit Mark 11 aménagé en garçonnière en velours rouge. Son désir d'indépendance pendant la durée du film l'a conduit à accepter rapidement une solution plus confortable : l'hôtel. Nous nous rendions dans les discothèques de Nice, mais nos séjours étaient de courte durée, Gérard était si provocateur!

    En 1980, Coluche annonça sa candidature à l'élection présidentielle et John Lennon fut assassiné le 8 décembre à l'âge de 40 ans.

                                    

 

              

 

              

 

                

                                            Voyage en Amérique

                                            




                                        

                                        

         Nous sommes allés à la compagnie TWA sur les Champs-Elysées, acheter les billets pour New York, réserver un hôtel à Manhattan et louer une voiture à l’aéroport. Je désirais explorer cette cité dont tout le monde espère la découverte en voiture. Je ne parle pas du rêve américain ; je  voulais retrouver, avec mes yeux d’enfant, l’Amérique, ses gratte-ciel, les tours jumelles du World Trade Center, les lumières de Broadway, les ponts de Manhattan, la Grande Central Terminal , le bâtiment de style Beaux-arts, couvre à ce jour 3 hectares, grimpe sur 7 niveaux, accueille 797 trains par jour sur 63 voies, abrite 35 restaurants, des dizaines de boutiques, deux courts de tennis accessibles à qui le demande. Un immense drapeau américain suspendu dans le grand hall, mais aucun banc. Le Grand Canyon, les Indiens et les Cowboys, San Francisco, le Pacifique et Los Angeles, et les camions américains. Après l’atterrissage à l’aéroport, John Fitzgerald-Kennedy, Hertz m'a proposé une Toyota. J'ai demandé une voiture à la hauteur de mes désirs, une voiture américaine ! Nous voici en route en direction de Manhattan où j’avais réservé notre hôtel. En l'absence d'un plan, notre objectif était le centre. Je suivis l’axe le plus fréquenté. J’étais sûr d’arriver au centre de la cité,  en moins d’une heure, nous étions à notre hôtel à 150 mètres  de Central Park, et 100 m des immeubles les plus prestigieux de New York, le Dakota Building au 1West 72nd Street, où, trois mois avant, Lennon fut assassiné sous le porche du bâtiment par un déséquilibré, les habitants  du quartier présentaient encore, le fantôme de l’assassin. Conduire et se garer à Manhattan a été un véritable challenge. Après avoir traversé l'East River à travers le Brooklyn Bridge et visité le quartier brièvement, Broadway (est la plus ancienne avenue nord-sud puisqu'elle est antérieure aux premiers colons. Dans la période précolombienne, les Amérindiens empruntaient ce chemin dans la nature et l'appelaient le Wickquasgeck Trial. C'est l'avenue la plus visitée de Manhattan. Il était donc logique pour moi de me garer là, et de découvrir une comédie musicale, et la 42e rue ! Et avoir une amende, que j'ai gardée longtemps comme souvenir. Le lendemain, je restitue la voiture. Nous étions fin février, pour les piétons il faisait un  froid de canard, des cheminées de vapeur gisaient des trottoirs ; mais le lendemain, nous partîmes par un vol intérieur à San Francisco où le soleil nous attendait. Nous nous dirigions vers l'ouest, en France, au mieux, vers la pointe Saint-Mathieu en Finistère. Un cabriolet eut été l’idéal, nous nous sommes contentés d’un coupé. J'ai eu l'opportunité de découvrir San Francisco de manière autonome, en me laissant guider par mes envies et en m'y perdant parfois. Il était facile d’avoir des repaires, la Coit Tower construite en 1933 (érigée à la mémoire des pompiers, elle est en forme de lance d’incendie et son nom n’a rien à voir avec ce que vous croyez… c’est le patronyme du mécène qui a légué toute sa fortune à San Francisco et qui était passionné par les pompiers… !) Le mythique pont suspendu du Golden Gate sur le Golden Gate, un détroit qui constitue la jonction entre la baie de San Francisco et l'océan Pacifique.. L'île Alcatraz était une prison de haute sécurité de 1934 à 1963. Le 9 novembre 1969, un événement spectaculaire attira l’attention sur les Amérindiens et Alcatraz. Avant l’aube, 78 étudiants débarquèrent sur l’île, pour proclamer une université indienne, .Ce groupe fut rejoint par d’autres Amérindiens et, en moins d’un mois, ils furent six cents qui représentaient quelque cinquante tribus différentes. Ils exigèrent, entre autre, la création d’un centre culturel et universitaire à Alcatraz, où ils pourraient recevoir dans leur langue une éducation conforme à leur culture… il fallut un an et demi avant que les forces fédérales prirent l’île d’assaut et expulsèrent les Indiens qui y demeuraient encore. Le complexe d’Alcatraz est aujourd’hui reconverti en un site historique.

     Suivre les tramways nous permettait de découvrir de nouveaux quartiers, dont le bastion gay de la cité. Nous étions très surpris de voir des homosexuelles ressemblant à des camionneurs ; certains avaient l’arrière de leur jean découpé en forme de cœur, faisant apparaître leur cul. Quelques-uns plus discrets se tenaient la main. Nous étions un des rares couples hétéros. En traversant le Golden Gate ma curiosité me fit quitter la route au bout de quelques kilomètres, au sommet d’une colline, à notre surprise un énorme blockhaus apparu ; je ne supposais pas que les Américains avaient peur du débarquement des Japonais. La curiosité est une qualité, elle permet de comprendre, de découvrir et d’apprendre, elle embellit une vie. Cette ville nous enchante par ses collines et ses célèbres rues pentues. San Francisco est une ville incomparable qui se distingue des autres États-Unis par sa diversité culturelle et sa tolérance.

      En nous dirigeant vers Salt Lake City et le Grand Canyon, nous quittons cette cité, fréquemment je sortais de l'autoroute. Je voulais recueillir quelques images de l’Amérique profonde dont le cinéma a nourri mon imaginaire, loin des grandes villes en parallèle des grands axes de bourgades en  motels, j’ai découvert un village fantôme sa mine de cuivre était fermée depuis 1964, les maisons étaient squattées par une bonne centaine de hippies. Il y avait une « brocante » garnie d’accessoires de mineurs, récupérée sur place, le salon était très animé par une musique des années soixante-dix. Le bar était orné de cuivre, tout comme le plafond, et le décor était tout simplement fantastique. Nous avons eu la possibilité de dormir dans ce Salon, qui proposait quelques chambres, le lit était également en cuivre ainsi que la baignoire. En empruntant la route des pionniers, nous avons été accueillis par un immense panneau nous incitant à quitter la route pour une visite historique! La voiture devait être laissée à un kilomètre dans un parking. À l’entrée du village vous pouviez acheter un droit de prospection, louer les accessoires du parfait chercheur d’or ; dans le bourg, devant le Salon des pionniers tirant à blanc sur d’éventuels adversaires, c’était le délire. Pendant un week-end américain, il a été une source de divertissement en revivant l'histoire de leurs ancêtres. Les photos des grands acteurs américains des westerns des années 50, John Wayne, Gary Cooper, Cary Grant en tenue de cow-boy, étaient exposées dans les échoppes et nous ont tous surpris par leur vitalité. Notre problème principal était de trouver de l’essence ; ces détours nous fîmes oublier que les stations étaient très rares dans l’Amérique profonde malgré les champs de chevalets de pompage que nous traversions. Après avoir parcouru le Nevada, nous arrivons à Salt Lake City, qui se situe dans l'Utah? “Lorsque nous étions jeunes, notre aspiration était de conquérir l'Amérique’’. En poursuivant notre route vers le Sud, il était primordial de ne pas oublier le Grand Canyon. Un jour, nous nous sommes retrouvés égarés dans un lieu désert. La personne que nous avons interpellée nous a montré de la main qu'il fallait continuer tout droit vers le Sud, nous étions bien à 400 km de Las Vegas ; fondée par les mormons en 1855, qui devient au début du XXe siècle ; une  journée devant les machines à sous, la promenade sur le Strip, le Las Vegas Boulevard ou se trouve les grands hôtels et casinos. Nous avons traversé sans problème la direction de la vallée de la mort. Nous rejoignions Monterey ville natale d’Ernest Hemingway et vers Santa Monica situé dans l’ouest du comté de Los  Angeles dans l’état de Californie, en longeons le Pacifique elle constitue une des extrémités de l’historique de la Route 66.

               1981 Election de François Mitterrand à la présidence de la République Française. C’est la première fois sous la Cinquième République qu’un candidat socialiste est élu à la tête de l’état.

    L’année des films publicitaires, comme par hasard pas de longs métrages en prévision, pendant ces années d’élections présidentielles, les productions et les entreprises en général retardant leurs projets en attendant, l’éventuel changement de la politique future.

                                                              LE “COWBOY’’

                                        


 

          Après la période mitterrandienne, le cinéma et la culture en général ont connu une période faste, s'étendant jusqu'au début des années 1986. Avec Aldo Maccione dans toute sa splendeur, le cow-boy est au top! C'était une période faste où on ne le recrutait pas pour jouer mais pour incarner un rôle dans un film! Rien n'est laissé de côté pour le navet! C'est agréable et c'est bien, c'est authentique Aldo! Malgré cette particularité, j'ai trouvé l'aventure intéressante dans cette ambiance exotique des chinoiseries du 13ème arrondissement de Paris où j'habitais à ce moment-là. J'ai effectué les repérages et les contacts dans mon quartier. La majorité des individus étaient vietnamiens, mais les personnes en charge de la communauté et du grand dépôt des frères Tang ne se présentaient jamais le jour des rendez-vous. Après une semaine, j'ai réalisé que l'obtention d'une autorisation de filmer dans le quartier sera impossible. La production et la mise en scène ont décidé de reconstituer l’ambiance du Chinatown dans le dépôt de Bercy qui était désertique en 1981.

 

                              Une Femme peut en cacher une autre



 

                                             

 

        Janvier 1983 a été le point de départ des accusations de crimes contre l'humanité, de complicité d'assassinat et d'abus d'autorité portées contre Papon. Le 8 octobre 1997, Papon a finalement été déclaré coupable.

     J’allais découvrir Deauville et Trouville pendant deux bons mois, en compagnie de Miou-Miou, Eddy Mitchell, Roger Hanin qui n’en pouvait plus « d’être le beau-frère » de Mitterrand. Il fait un retour remarqué sur scène en tant qu'acteur dans les années 1980, ce qui marque la fin de sa traversée du désert.

    Nous étions en octobre, tous à la même enseigne.  Le Normandie. En 1912, il fut le premier des grands palaces de la ville, construit dans une architecture traditionnelle régionale de style manoir anglo-normand assortie de colombages, des conditions de séjour très confortables et bourgeois, pour d’humbles salariés du cinéma français. J'ai eu la chance de voir Eddy Mitchell lors de son passage au Golfe Drouot à Paris dans les années 1960. Eddy est une personne très sympathique, il nous a organisé un bœuf à l'hôtel pour l'anniversaire de Miou-Miou et il avait toujours le sourire. Un soir de semaine, nous avons eu l'occasion de nous rendre avec lui et le peintre déco dans un club de Deauville, où une dizaine de clients étaient présents. Après avoir pris quelques verres au comptoir, je devinais que Paul, le peintre, était légèrement éméché. En partageant des convictions de gauche, il commençait à titiller Eddy sur le thème du « capital » et de la droite française. Lorsque mon cher ami peintre décorateur a eu la brillante idée de traiter notre célèbre rockeur national de « mickey ». Eddy le fit décoller du sol et le fit asseoir sur le bar avec ses lunettes rondes et bleues. Les clients observèrent avec intérêt la situation, je me hâtais de régler les consommations et de conduire mes amis vers la sortie. Le lendemain, nous partageons les frais, et la journée de tournage se déroula le plus normalement du monde. Les Vapeurs, à Trouville, une institution était devenue notre cantine du soir,

                                      

                                                                   Les publicités                   

 

      Les annonceurs d'Orangina, Perrier, Seeb et autres boissons, les banques et les voitures Renault, Peugeot, etc. Dont certains nous ont fait découvrir quelques pays exotiques. Les choix se faisaient pour certains passionnés de la pêche au gros, suivant les saisons, Carlos, Yvan Marie-Coulais, ils nous emmenaient soit au Mexique pour pêcher dans l’océan pacifique ou l’hiver dans l’océan Indien à l’île Maurice.  Après le séisme de 1985 à Mexico, nous sommes allés pendant deux mois sur la côte ouest du Mexique, pour tourner deux films publicitaires Orangina et de produits d’électroménager, four à micro-ondes et cocotte-minute. Les concepteurs publicitaires ont réussi à convaincre les annonceurs que Tarzan était le choix parfait pour faire la promotion de leurs produits dans la « jungle mexicaine », à une hauteur de 5 mètres. Dans les années 80, il était possible de tout réaliser, les budgets de campagne étaient considérables. En découvrant Mexico, nos partenaires nous ont montré que les ministères, prétendument résistants aux tremblements de terre. Leur gouvernement corrompu avait détourné des fonds, les bâtiments s'étaient effondrés comme des jeux de cartes. Notre hôtel appartenant à une chaîne allemande, il avait survécu au cataclysme et l'image du quartier était déplorable depuis ma chambre. Les trottoirs étaient recouverts de rugosités mesurant entre trente et quarante centimètres, certains n'étant pas datés du dernier séisme, l'activité de la ville semblait normale. Pendant toute la durée de mon séjour, j'ai eu une traductrice à mes côtés. Elle avait vécu les secousses, elle me parla de ses émotions et de sa peur pendant ce tremblement de terre. En étant totalement déséquilibrée, elle a réussi à quitter sa maison et à s'installer sur la pelouse en attendant la fin du séisme. Le séisme du 19 septembre 1985, d'une magnitude de 8,1 sur l'échelle de Richter, a duré 2 minutes. La réplique qui a eu lieu le lendemain a causé entre 10 000 et 50 000 morts. Les quartiers centraux ont été les plus touchés par les dégâts, couvrant une superficie de 40 km² (4 % de l'espace urbanisé). Le quartier des ministères, entre autres, a été gravement affecté. Certains Mexicains ont interprété le séisme comme une punition divine. L'épicentre se trouvait à environ 400 kilomètres de Mexico City.  Quarante-huit heures après nous prenions une ligne intérieure en direction de Manzanillo vers la côte Pacifique. Dans une semaine, Carlos et toute l'équipe seront présents. Nous avons eu pour tâche de prendre contact et de visiter les sites en compagnie des techniciens mexicains. À quelques kilomètres, nous sommes émerveillés par une forêt luxuriante. Elle correspondait exactement au décor, où Tarzan pouvait construire sa case, en traversant cette formation arborée, sous un climat chaud et humide, là, soudain s’ouvrant une plage de sable blanc, nous étions seuls devant le pacifique, j’avais l’impression d’être dans la même propriété, et bien c’était la même propriété de l’hôtel où nous étions logés.  J'ai été convié par l'équipe à Paris pour me procurer de quoi fumer! Nous nous trouvions au nord d'Acapulco, au Mexique. J'ai demandé conseil à mon assistante, elle m'a conseillé de parler aux officiers de sécurité, la surprise est totale, elle a pris contact avec ses gardes. Le lendemain, un agent en uniforme s'approcha de moi et me tendit une grosse enveloppe. Je lui ai demandé le montant à payer.

- C’est simplement pour goûter, me dit-il ! Ils ne fournissent que de grandes quantités!

        Nous étions dans un superbe hôtel au bord de l’océan à quelques enjambées du « Club Med », qui choisit toujours les plus beaux sites du monde. Un village de milliardaire, où « Sir James Goldsmith » résidait avec sa famille, après avoir amassé une fortune gigantesque, il travaillait dans une vaste propriété privée, presque un royaume dans la jungle mexicaine. Plus connu sous le nom de Jimmy Goldsmith il fut le propriétaire de la Générale Occidentale, une holding qui regroupait ses participations financières dans de nombreuses marques alimentaires françaises (le chocolat Poulain, Amora, Maille…) ainsi que dans le domaine de la presse écrite, il s’illustre notamment à Wall Street en 1986 dans un raid boursier contre Goodyear. Il fait en 1977 l’acquisition de l’Express, dont il entend faire un instrument de lutte contre l’influence communiste. Il se rapproche de Raymond Aron il revend le journal en 1987 et reprend le contrôle des Presses de la Cité qu’il revend l’année suivante. Lors des élections européennes de 1994, il mène une liste en France, sur une ligne souverainiste, avec Philippe de Villiers et le juge Thierry Jean-Pierre. Leur groupe obtient 13 députés à Strasbourg. Nous venions de visiter son domaine qui s’étalait sur 60 kilomètres, le long du pacifique. Le village était, sa résidence et l’hôtel une petite partie de ses revenues. Lorsque Carlos nous rejoignit, les adolescents de James Goldsmith, qui s’est marié trois fois et eut  huit enfants, il mourut en 1997 à l’âge de 67 ans.

     Ils étaient venaient  nous rendre visite. Le tournage devait détourner leur attention, la vie des enfants riches dans un paradis merveilleux, devait être insipide. L’un était manager de l’équipe junior de football mexicaine, l’autre champion de surf, une fille était dans une école d’art à Vevey. Leurs loisirs étaient surtout de faire du shopping, à Londres pour les chemises, à Milan les chaussures, les bottes à New York. Nous avons été invités chez le milliardaire, l'équipe dont je faisais partie était accompagnée des enfants de l'hôte. Carlos et Yvan-Marie-Coulet ont partagé la table de James Goldsmith!

  Située sur une falaise, cette villa offrait une vue imprenable sur l'océan Pacifique grâce à sa piscine à débordement. En observant les vagues se heurter au récif éclairé par des projecteurs, on pouvait apercevoir la ligne verte apparaître au crépuscule!

      Le retour fut hippique. En route pour Mexico, le directeur de l'agence publicitaire, un homme séduisant, tomba sous le charme d'une fille sublime, mesurant 1m80, gracieuse, légère, la femme idéale. A l’aéroport, tous nos bagages étaient groupés sur un grand chariot, notre « patron » accompagné de sa conquête, très fière et souriant, fut surpris, comme nous tous, de voir nos valises encerclées par une dizaine de douaniers. La femme a été écartée du groupe et escortée avec notre séducteur jusqu'à la douane. Nous apprendrons plus tard que cette charmante femme, était suivie depuis longtemps et avait simplement glissé sa valise parmi les nôtres. Nous avons été conviés par notre agent de publicité dans la soirée à un restaurant mexicain typique, où la soirée a été très plaisante.

 J'ai eu l'occasion de rencontrer deux artistes français qui exposent leurs toiles dans les boutiques touristiques des hôtels de la côte ouest du Mexique. En 1985, leur travail était exactement le style de Montmartre, qui est maintenant produit en grande quantité par la Chine. Leurs méthodes étaient surprenantes. Le jeune homme esquissait les sujets, les églises mexicaines, les villages et les fêtes régionales, les paysages. Elle les imprimait sur des toiles de petite taille et sa compagne les coloriait. En utilisant leur 4x4, ils parcouraient toute la côte ouest du Mexique en visitant les hôtels, en faisant du porte à porte. Cet Eco-tourisme m'a vraiment laissé sans voix. J'ai croisé un jeune génie à Maurice, adossé à un palmier, en train de tricoter... Je me demande ce que vous êtes en train de faire? Je suis en train de fabriquer un hamac. Il parcourait le globe avec un nombre restreint d'outils à sa disposition. Il a pris le temps d'observer le style local où il venait de débarquer, sans difficulté il repérait les produits locaux et commençait à travailler pour sa prochaine étape, bravo l'artiste. Un accordeur de Hamacs.



                                                   J'ai eu l'occasion de découvrir la Martinique grâce à un film publicitaire pour un produit américain. Gérard Hameline était le metteur en scène de ce film. Il exerçait aussi la fonction de producteur à New York. Plus tard, j'ai réalisé qu'il était l'assistant caméraman dans le grand Meaulnes il y a 25 ans ; à cette époque, je n'étais pas très impliqué dans le tournage. Pendant de longues années, j'ai travaillé en étroite collaboration avec Gérard, personne ne m'a jamais accordé sa confiance de cette manière.

  Après avoir terminé ce tournage, je suis resté en Martinique, ce qui m'a permis de retarder mon retour en France. J'ai croisé un marin qui naviguait sur un bateau de 12 mètres et qui était bloqué sur cette île en raison de difficultés financières. Je ne m'imaginais pas les « vagabonds des mers ». Nous avions conclu un accord pour un séjour d'une semaine à destination de Sainte-Lucie. Pendant que nous naviguions, il me narra son histoire. Sa femme était hôtesse et lui steward dans une compagnie aérienne belge. Pendant de longues années, ils ont travaillé main dans la main pour construire ce voilier, leur rêve était de faire le tour du monde en empruntant le canal de Panama. Ils ont appris la navigation dans la mer du Nord, une mer très dangereuse ? Ayant bien préparé leur grand voyage, dont tout le monde rêve. Ils ont effectué la vente de tous leurs biens, y compris les appartements. Leur plan était de mettre 4 à 5 semaines pour traverser l'Atlantique jusqu'aux Antilles.  Pendant 6 semaines, ils ont été confrontés à des problèmes, des ennuis et à la faim. Dès leur débarquement, ils se sont séparés et divorcés.  A la fin de la journée, on entre dans une baie étroite, où les pirates devaient se cacher, et surprendre leur proie. Nous nous ancrons au fond de la Baie Marigot. La qualité de l'annexe laissait à désirer, il était nécessaire de la regonfler avant de la mettre à l'eau. Le marin m'explique pourquoi nous étions dans cette baie, sa copine résidait ici. Nous arrivons et nous nous dirigeons vers une source réputée. Dans un premier temps, nous nous dirigeons vers les bains dans les sources chaudes, à une température avoisinant les 30 degrés, avec une légère hésitation. Pour se couvrir de boue et répéter l'opération, il est nécessaire de plonger entièrement dans le bassin, jusqu'au cou. Nous étions seuls, je n’ai croisé aucun touriste, au début des années quatre-vingt. Il y avait un bassin à quelques pas un bassin d’eau chaude pour se rincer et se rhabiller. Plus haut, dans la montagne, il y avait un groupe de véritables Rastas, ils fumaient de gigantesques joints. Après le coucher du soleil, nous sommes allés à l'hôtel pour nous refaire une beauté. Je lui suggérai de prendre un verre sur le comptoir, couvert de cartes marines et bien protégé par un verre épais. Cette histoire ne pourrait être racontée dans un scénario que personne ne prendrait au sérieux. Il examinait attentivement la carte marine, utilisant son verre vide comme une loupe. Il trouva le port où il avait bâti son voilier, m'apportant plus de détails sur cette triste histoire, en mentionnant qu'il avait un fusil sur le bateau. Le lendemain, nous quittons l'hôtel et reprenons notre exploration de Sainte-Lucie. Mon «skipper» m'a emmené voir sa petite amie, elle était édentée. Je me suis promené dans le village sans m'éloigner trop du quartier. Le soir venu, il m'a fait découvrir un site original, c'est un euphémisme. En sortant du village, nous remarquions des guirlandes de lumières scintillantes en haut d'une petite colline, avec de la musique qui s'amplifiait au fur et à mesure que nous nous approchions de ce vallon. Je suis vraiment étonné, nous nous trouvions à l'entrée du cimetière. Nous sommes montés dans une allée, entourés de tombes, à mi-hauteur j'ai vu quelques femmes assises sur les tombes, elles étaient probablement les hôtesses. Nous étions simplement dans un « bordel ». Très animé par un cocktail de musique antillaise et classifié comme tropical, cubain, africain, reggae. Le lendemain, nous avons navigué sur la côte ouest, et mis le cap sur la Martinique.

                                        

                          

 

 

                 

                                                        New-York                 

 









             Gérard Hameline m'invite à l'accompagner à New York, vérifier la validité de mon passeport et participer à une campagne publicitaire pour la bière Budweiser. C'était un cadeau de Noël, et j'avais du mal à y croire. Deux semaines plus tard, il me téléphona pour me dire : "Le Syndicat des techniciens du cinéma américain refuse la présence d'un décorateur étranger dans leurs studios."

Néanmoins, la production te convie à prendre part aux repérages et au tournage de cette publicité. Je n'aurais jamais pensé que cette invitation serait réalisable. Seuls les américains ont la capacité de me proposer une compensation aussi avantageuse. 

 

 

                                        

 

  Deux semaines après, j'étais à côté de Central Park, Gérard vivait dans le quartier. La première fois que je suis allé à New-York, c'était aussi à cent mètres du Dakota. Les premiers jours, nous faisions la visite des repérages, proposés par la régie de la production. Nous étions dans Greenwich Village, ou The Village comme l’appellent la plupart des New-Yorkais, est un quartier essentiellement résidentiel de la ville de New-York, située dans le sud-ouest de l’arrondissement de Manhattan. Nous visitons deux appartements, et surtout le quartier pour les plans d'extérieur. Le lendemain, ce fut dans de grandes entrées de tours dans le sud de Manhattan. Les volumes de ces entrées sont incroyables, avec une douzaine d'ascenseurs, une hauteur de plafond surprenante, c'est New York. Le tournage a débuté le jour suivant. Je suis arrivé avec Gérard sur le décor qui était le hall de l’immeuble visité la veille, l’éclairage, la caméra, les figurants, tous les techniciens étaient en place, le metteur en scène, pouvait dire « moteur » en anglais, bien sûr. Je n’avais jamais vu un démarrage de tournage de la sorte. En France, il n'y a aucune installation en cours, à part le décor, toute l'équipe est présente, mais rien n'est en place.

 

                     

                               

                                                               DIÊN BIÊN PHU

                                                                   1989-1990



    Une « vieille » connaissance professionnelle me téléphona un beau matin d’un été indien. Il m'a demandé si j'étais disponible pour aller avec lui au Viêtnam et participer au film Diên Biên Phu que Pierre Schoendoerffer préparait depuis plusieurs années. Nous étions au mois de novembre 1989, la chute du mur de Berlin a lieu dans la  nuit du 9 novembre 1989. Les premières destructions physiques du Mur commencent cette nuit même. "Il n'y a jamais de hasard". Il y avait trois films qui se tournaient au Vietnam, entre 1989 et 1990.l’Amant, adapté du roman de Margueritte Duras par le réalisateur Jean-Jacques Annaud ; Indochine tourné par le réalisateur Régis Warguier.  Une tranche de l’histoire de l’Indochine Française des années 1920 aux années 1950 à travers la saga d’une famille coloniale exploitant des plantations d’hévéas. Le film commémore les 8000 soldats tués à Dien Bien  Phu, il a pour objectif de rappeler aux français de ne pas se tromper, de ne pas oublier la leçon humiliante au champ de bataille de Dien Bien Phu.

   Nous travaillions ensemble depuis longtemps pour des films compliqués, l'un était chef, l'autre assistant, cette fois, j'étais assistant, sans hésitation, j'ai accepté sa proposition. Nos différents étaient courant, chacun avait son "sale" caractère. Partir six mois au Vietnam était une expérience à ne pas manquer. Retrouver le cinéma représentait une énième chance, une nouvelle aventure à laquelle je ne croyais plus.

         Nous étions fin septembre 1989, j’avais assumé trois saisons au Bar du Bon Coin, l’expérience était terminée il était grand temps de tourner la page, j’en garderais toujours de bons souvenirs, avais-je fait un peu de social ? Ces rencontres quotidiennes étaient enrichissantes et uniques en leur genre.

     J'ai collé amèrement "à vendre" à une pièce de la maison dans laquelle je n'avais jamais vécu.  Un matin, j'ai fait mon « come-back » à Paris dans mon spider 2000 Coda Tronca Véloce Alfa Romeo de 1977. Le dessin de la carrosserie fut confié Pininfarina, qui proposa une voiture basse aux formes arrondies avec des flancs convexes. Cette voiture détient un record chez le constructeur italien, c’est celle qui est restée le plus longtemps en production, vingt-six ans. Une étape de ma vie dissolue était terminée, j'ai quitté les Cévennes, le Palace, les amis du bar et ma compagne. « Mon cinéma » m'avait ouvert les portes d'une nouvelle aventure.

 

      A Paris, j’ai retrouvé mon HLM au 28e étage, dans le quartier chinois du 13é arrondissement, que j’avais sous-loué pendant deux années. J’eus le privilège de faire la connaissance d’un metteur en scène qui avait réalisé la 317éme section, le Crabe Tambour, et vécu les derniers jours de Diên Biên Phu. Il nous emmènera pendant six mois dans cette équipée comme un capitaine de compagnie.   Un nouveau contrat fut signé début octobre et le travail de recherche et documentation commençait sur les cinquante derniers jours de Diên Biên Phu.  Nous étions installés dans un quartier chic rue Miromesnil à 100 mètres du rond-point des Champs-Elysées. Après trois années de limonadier, au fin fond des Cévennes, mon retour parisien se passait dans de bonnes conditions. J’y retrouverai des amis et compères que j’avais abandonnés, pour une aventure cévenole.

          Les archives étaient aux Invalides, au ministère des armées, les occupations  des colonies indochinoises fondées en 1887 et sa disparition en 1954, les traditions, les affiches des compagnies aériennes existantes en Indochine, les ambiances des bars, des fumoirs d’opium, des hôtels danois, et du Tonkin, comment reconstituer en partie la cuvette où l’armée française chutât corps et âmes en mai 1954, le matériel  de l’armée française, les véhicules,  une cellule médicale et une compagnie de parachutistes et ses officiers  nous accompagnaient dans cette entreprise. Les conditions de vie et de mort dans les cinquante derniers jours avant la chute de Diên Bien Phu tout devait être d’une exactitude exigée par le metteur en scène, y compris les grades et décorations  que la costumière devait présenter à la perfection.  N’ayant pas fait mon service militaire ni connu la guerre, je suis responsable de la reconstitution d’un fait de guerre historique et contemporaine ! La vie m’aura toujours ébahi ! Cela était simplement du cinéma.

      Le 9 novembre 1989, fut la chute du mur de Berlin, notre départ au Vietnam en fin novembre, pendant ce mois de préparation et de recherche j’eus le temps de découvrir une nouvelle compagne parisienne, je ne crois pas que tous ces événements furent un pur hasard. Pendant 3 ans Schoendoerffer et la production espéraient faire ce film, attendaient-ils la chute du mur pour le faire ? Personne ne le saura.

    Les Soviétiques et conseillers militaires quittèrent le Vietnam. Les ouvriers vietnamiens par centaines avec leurs casques de chantier à l’aéroport de Moscou en attente d’avion pour les reconduire dans leur pays. Je les ai vus passer devant moi à l’aéroport d’Hanoï fin décembre 1989 tard le soir pendant 3 jours. J’attendais mon amie que j’avais invitée à passer Noël à Hanoï, l’événement était chic à cette époque. Elle aussi attendait aussi une place disponible pour Hanoï. Elle était hébergée dans la banlieue moscovite par un correspondant de notre brillant directeur de production qui avait trouvé l’Aeroflot avec ses Tupolev TU-154B comme transport le plus économique pour Hanoï ! L’ambassade de France ne pouvant rien faire pour elle, ils s’occupaient en priorité de leur réveillon de Noël. Elle a apparu le troisième soir au milieu des casques jaunes par le vol  de Moscou, elle était la seule femme.

         A cette période, nous étions cinq cadres à Hanoï pour la préparation du film. Nous étions dans un bâtiment réservé, soi-disant aux officiels étrangers, nous étions bien protégés et surveillés « pour notre sécurité ». Nous cherchions des micros partout au bout d’une semaine notre parano nous quitta et nous reprîmes notre travail avec calme.

      Nous découvrions Hanoï avec ces milliers de vélos dans un concert de timbres et d’avertisseurs, peu de voitures et quelques mobylettes. Beaucoup d’handicapés tous étaient victimes et blessés de guerre. L’armée vietnamienne s'était retiré officiellement du Cambodge en septembre 1989. Depuis quarante-cinq ans, du nord au sud du Vietnam à pied à vélo contre les Japonais, les Français, les Chinois et les Américains, les Khmers rouges, la paix était enfin présente dans ce pays. J’apprends très rapidement que ce peuple, ce pays et son armée n’était plus en guerre que depuis deux mois. Nous étions des « pionniers ».

 

       La porte du Vietnam s’était ouverte avec la chute du mur de Berlin. Dans le centre d’Hanoï, nous avions un grand carrefour ou passait la voie ferrée, les piétons, les vélos et toutes sortes de véhicules, les documents datant des années cinquante, que nous tenions de nos recherches parisiennes, correspondaient exactement à la réalité que nous avions sous nos yeux, le nombre de personnes avait  beaucoup augmenté, la guerre et le régime pour notre sécurité, de toute façon, je ne vois pas comment nous aurions pu travaillé sans eux. Ils avaient immobilisé le développement, mais pas la progression de la population Vietnamienne, entre 1979 et 1989 elle avait augmenté de 23 pour cent. Les interprètes, les assistants, les chauffeurs tous étaient des agents de l’État communiste.

             Durant ces semaines de travail, nous avons eu la joie de découvrir une partie du Tonkin, aucun de nous ne connaissait l'Asie du Sud-Est.

 

            Nos collaborateurs vietnamiens étaient tous de l’école des beaux-arts d’Hanoï, leurs cadres parlaient français ; un d’entre eux était le traducteur officiel du gouvernement, il nous a accompagnés pendant toute la durée du film. On le retrouve quelques années plus tard à Paris, à l'ambassade vietnamienne. Les bureaux et les ateliers de décoration étaient dans la banlieue  d’Hanoi ; un grand lac rempli de symboles et d’un charme étrange. Une petite réplique de l’opéra Garnier face à un boulevard bordé d’arcade qui était elle aussi « raccord » aux documents que nous possédions. Le quartier de l’administration de nos anciennes colonies, les hôtels des années trente étaient pur jus les décors extérieurs d’Hanoi demandaient quelques transformations, les panneaux de publicités et quelques façades de boutiques. L'œuvre la plus importante était la décoration intérieure, les fumeurs d'opium, les bars et la réception hôtelière que les journalistes occupaient à l'époque.

      Raoul et moi partagions le travail, il s'occupait de Hanoï, je m'occupais de la reconstruction de Dien Bien Phu. Mon domaine d'activité était à une heure de route dans un immense champ militaire que les paysans occupaient pour leurs tâches quotidiennes. Avec ses huit collines, comme la cuvette que Giap, le grand stratège d’Hô Chi Minh rendit au néant après 56 jours de bombardements et d’attaque réitérée. L’Armée populaire vietnamienne est l’armée de la République socialiste du Viêtnam. Elle a été créée par le Général VO Nguyen Giap, ancien professeur chargé de cours de philosophie à l’université danoise la paix revenue, elle devient une structure d’encadrement du développement économique dans sa première phase pour un développement social. L'Armée populaire vietnamienne est l'institution la plus ancienne, la plus structurée et la plus stable dans les bouleversements de 30 ans de guerre, dans un " État-garnison" qui commence à se démobiliser dans la vie civile. L’État-garnison est une description pour signifier toutes les organisations économiques, politiques et sociales de la République démocratique du Viêt Nam centrées sur l’Armée Populaire Vietnamienne en période de guerre d’indépendance et de réunification. La « piste Ho Chi Minh » militaire, devenue "autoroute Ho Chi Minh" civile, est représentative de cette évolution, de la guerre à la paix.

         Pour le cinéma le décor suffisait, les huit élévations de défensive Béatrice, Gabrielle, Anne-Marie, Huguette, Dominique, Françoise, Eliane, Isabelle, étendue sur 2 kilomètres. Une piste d’atterrissage de 600 mètres en parallèle des sommets, des tranchées de défense, l’antenne chirurgicale un QG, d’un pont Bailey cet espace couvert de barbelés et de trous d’obus sur une étendue de 4 km². Pour mener à bien ce projet l’armée vietnamienne et quelques officiers du génie, composé mon équipe, j’en comptais une trentaine sur le chantier, des ados appelés pour 3 ans, ils arrivaient tous les matins à pied d’une caserne avoisinante située à 10 km.

       Jacques Allaire, colonel à la retraite était le conseiller militaire. Il s'était battu pour défendre Eliane en tant qu'officier de Bigeard, lui se trouvait dans les abris en direction du QJ.  Il n'avait jamais rencontré l'officier contre lequel il luttait, il avait vu le Vietminh le harceler sans cesse. Il rencontra son adversaire « invisible » 35 ans plus tard, je les ai vus converser, en cueillant des fleurs pendant une visite officielle dans le décor que nous avions « ressuscité ». Il m'a appris à implanter les tranchées, à poser les mitrailleuses, les alvéoles protégeant les avions de chasse, qui ont été détruits dans les premiers bombardements. Sur ce terrain était construit un lotissement pour le séjour de plus de 3 mois d’une équipe d’une centaine de techniciens, comédiens et militaires, nous avions chacun une chambre avec douche et sanitaire dans 15 m², une cantine un hôpital de campagne, entourée de treillages, protégé à l’extérieur par l’armée vietnamienne. Je pense que cette terre était devenue militaire pour les besoins du film.

        Alors que l’officier du génie effectuait le travail, il m’a fait l’honneur d’avoir un « grade » de lieutenant « vietnamien », que j’ai accepté avec fierté.  Lorsque le tournage a commencé deux mois plus tard, l'officier français, prétendument colonel, m'a demandé de retirer mon grade. Ce qui me rendit suffisamment désagréable vis à vis de ce personnage qui, en plus faisait de la figuration dans le film de Régis Wargnier « Indochine » avec Catherine Deneuve qui était à cette époque près d’Hanoi. Un jour, le rencontrant dans le désordre de notre réfectoire mettant en évidence sa virilité, je lui ai dit :

---Bonjour « ma colonelle »                                 

 Pour le remercier de l'outrage qu'il m'avait lancé, j'étais le seul à ne pas recevoir le cadeau de sa compagnie à la fin du tournage.

       Un dimanche, étant notre jour de repos dans cette caserne factice au milieu de nulle part. Nous étions cantonnés depuis un mois et demi avec les armuriers, l’équipe des effets spéciaux préparant tous leurs réseaux électriques pour les explosions des bombardements qu’avait subis la cuvette de Diên Biên Phu. J'ai eu la brillante idée d'aller à la découverte du voisinage.  La jeep qui m’était attribuée, servait aussi de véhicule militaire pour les besoins du film, libre le nez au vent sur une route vietnamienne à environ 130 km de la frontière chinoise. Je découvris après quelques kilomètres, des bataillons de chars de combat, bien alignés dans un grand terrain entouré de barbelés, puis à quelques kilomètres des avions de chasse, je ressentis une certaine exaltation puis une inquiétude, un doute une anxiété et une sorte de panique. Je stoppe la jeep au milieu de la route déserte, je vis dans mon esprit l’immatriculation du véhicule militaire des années cinquante avec son petit bleu, blanc, rouge qui me transportait au milieu de garnisons prêtes aux combats. La frontière chinoise était proche, j'ai fait demi-tour et j'ai vite regagné ma caserne.

     Pour le jour de Noël ou la Saint-Sylvestre, je ne me rappelle pas, les responsables vietnamiens nous ont invités pour un dîner en notre honneur. Le metteur en scène et la production nous avaient rejoints, le début de la prise de vue était proche. Nous nous étions mis sur notre trente-et-un si l’on peut dire, personne n’avait prévu une telle soirée, nous avons eu, deux surprises. La première était de voir et serrer la main du général Giap lui-même, grand stratège de Ho Chi Minh, qui nous avait renvoyés dans nos foyers après la chute de Diên Biên Phu en 1954, et fait des milliers de prisonniers.  Après le dîner et le départ des autorités,  un bal était prévu.  L’orchestre un peu « rock and roll » entonnât en vietnamien, sous un son de guitare électrique « j’irai revoir ma Normandie » à notre surprise et un rire jaune, cela devait être de l’humour asiatique.

        Le tournage a commencé fin janvier, Schoendoerffer était un h nous recevoir et festoyer avec nous. En quittant cette fête, le vieil homme nous parla avec détail des années où il enseignait le français. 45 ans plus tard la vie lui était difficile, la pauvreté l’accompagnait, il demanda l’adresse de mon amie et nous l’avons quitté en le remerciant du chaleureux accueil qu’il nous avait accordé. Deux mois plus tard, Caroline a reçu une lettre de ce brave homme qui lui demandait 100 dollars pour régler les problèmes de santé d'un membre de la famille. Elle m'a envoyé un billet. Mon chauffeur nous a ramenés au village avec mon ami Raoul, il nous a conduits dans les ruelles jusqu'à la maison de notre hôte. Après avoir franchi le seuil de la maison, une bonne douzaine de Vietnamiens se sont inclinés un peu avec leur sourire asiatique et nous autour d’une grande table, le chauffeur était à l’écart du groupe. Avec Raoul nous étions inquiets à trois reprises je me suis levé faisant un geste vers la sortie, à chaque fois ils m'ont fait comprendre que cela n’était pas le moment. Il nous demandait pourquoi nous étions venus dans ce village ; je disais simplement que nous venions voir notre « ami » sans plus. Après trois heures de palabre, ils nous ont invités à les quitter, je ne savais pas ce qui était devenu le billet de 100 dollars.

      Au bout de 5 mois de campagne en Indochine, une dernière anecdote. Une escale en Union soviétique pour faire le plein de kérosène. Avec l'avion encerclé par des soldats armés, vous n'aviez aucune chance de vous dégourdir les jambes. J'ai appris par la suite qu'il y avait des soldats de l’armée française à bord de nos avions. Il était malvenu que notre armée eut mis les pieds chez les  Soviets. Les pilotes de l'avion, étaient aussi plus forts que des conducteurs de poids lourds.  Igor Hossein, parlant russe, avait remarqué une médaille symbolique de l'époque des Stars sur les uniformes des aviateurs, souhaitant le retour de la grande Russie. 




































 
  

 

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